L’industrie nucléaire française et EDF, qui devrait être recapitalisé dans les prochains mois, n’avaient pas vraiment besoin de cela. Un problème sérieux de conception a été identifié en mars sur l’EPR, réacteur nucléaire de troisième génération, en cours de mise en service d’Olkiluoto en Finlande (voir la photographie ci-dessus). L’information a été dévoilée par le Journal de l’énergie.
Il s’agit de la défaillance d’une soupape de sûreté du pressuriseur, un élément essentiel de la sûreté du réacteur. L’incident s’est produit en mars lors d’un test effectué sans combustible sur l’EPR finlandais. La pièce défectueuse, qui a présentée une fuite du fait de fissures, est aussi présente dans les autres EPR en construction, dont celui de Flamanville (France), et dans les deux qui sont entrés en service à Taishan (Chine). L’Autorité finlandaise de radioprotection et de sûreté nucléaire (STUK) a informé de l’anomalie les autres autorités de sûreté nucléaire responsables des EPR dans le monde.
La fuite constatée sur la soupape du réacteur finlandais a poussé Stuk à suspendre le chargement du combustible, qui devait avoir lieu en ce moment. L’électricien finlandais TVO avait déposé au début du mois d’avril une demande d’autorisation de chargement. Interrogé par le Journal de l’énergie, Stuk qualifie la défaillance de «très significative». Il s’agit d’«un problème sérieux», confirme Areva, filiale d’EDF responsable de la qualité des soupapes de sûreté fabriquées par Sempell en Allemagne. L’intégrité des soupapes des EPR français et chinois a été vérifiée en urgence. Premier réacteur EPR à être construit au monde, depuis 2005, l’EPR finlandais d’Olkiluoto n’est toujours pas opérationnel et accuse onze ans de retard.
Les autorités chinoises ont songé à arrêter les deux seuls EPR en service dans le monde à Taishan
Pour avoir une idée de l’importance de l’incident, les soupapes de sûreté du pressuriseur du réacteur nucléaire permettent de relâcher la vapeur au cas où la pression devient trop forte dans le circuit primaire. Dans l’EPR, il y a trois soupapes de sûreté au sommet du pressuriseur dont la fonction est de réguler la pression et la température du circuit primaire de vapeur.
Une surpression non maîtrisée, si les soupapes ne s’ouvrent pas, peut conduire à la rupture de la cuve, un accident majeur. Si les soupapes de sûreté ne se referment pas, cela peut conduire à un accident tout aussi grave, la vidange du circuit primaire et la fusion du combustible nucléaire. L’accident nucléaire à la centrale de Three Mile Island (Etats-Unis), le 28 mars 1979, a été provoqué en partie parce qu’une vanne du pressuriseur ne s’était pas refermée, ce qui a entraîné la fusion partielle du combustible nucléaire.
Selon nos informations, EDF et sa filiale Areva ont constitué en urgence il y a deux mois une équipe réunissant leurs meilleurs ingénieurs pour trouver le moyen de remédier rapidement à ce défaut de conception. Cette équipe aurait proposé il y a quelques jours à TVO et à l’Autorité finlandaise de sûreté nucléaire un plan d’action pour remédier au défaut. Informées immédiatement en mars de l’incident, les autorités chinoises ont hésité à mettre à l’arrêt les deux seuls EPR en service dans le monde aujourd’hui, Taishan 1 et Taishan 2. Ils se trouvent, comme leur nom l’indique, à Taishan à 120 kilomètres au sud-ouest de Hong Kong. Taishan 1 est entré en service en décembre 2018 et Taishan 2 en septembre 2019.
Un problème identifié depuis des années
En-dehors des deux réacteurs opérationnels de Taishan, quatre autres EPR sont aujourd’hui en cours de construction à Olkiluoto en Finlande, à Flamanville en France, où le chantier n’a cessé d’accumuler les déboires, et deux à Hinkley-Point au Royaume-Uni. Ces derniers en sont juste à la phase de gros œuvre.
Dans son rapport sur les difficultés de l’EPR de Flamanville, remis en octobre 2019, Jean-Martin Folz pointait les difficultés liées à ces soupapes comme l’une des causes des «dérives» du réacteur. «Ces soupapes fabriquées par un fournisseur allemand et issues de la technologie du réacteur Konvoi s’avèrent très difficiles à qualifier aux conditions normales et accidentelles selon les règles françaises». En 2017 et 2018, des dysfonctionnements des soupapes s’étaient produits lors d’essais et avaient contraint EDF à en revoir plusieurs fois la conception.
Les EPR, présentés comme les réacteurs les plus sûrs au monde…
Quelle que soit l’issue de cette crise, c’est un coup très dur pour EDF et pour la filière nucléaire française. Les déboires, les retards et l’envolée des coûts de construction des EPR avaient jusqu’à aujourd’hui été considérés comme des problèmes liés au fait qu’il s’agissait de prototypes. En France, à Flamanville, les observateurs, l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) et les responsables expliquaient que les problèmes de qualité de fabrication étaient la conséquence avant tout d’une perte de savoir-faire industriel en France. D’erreur de conception, il n’en avait jamais été question…
D’autant que les EPR ont été présentés comme les réacteurs les plus sûrs au monde. Fruit d’une collaboration franco-allemande qui remonte aux années 1990 après la catastrophe de Tchernobyl, ils ont été conçus pour offrir la plus grande sûreté possible. Ainsi, les principaux systèmes de sûreté ainsi que leurs systèmes support (alimentation électrique, circuit de refroidissement, contrôle-commande) comportent quatre voies indépendantes et géographiquement séparées. Des vannes de dépressurisation ultime du circuit primaire équipent le pressuriseur afin d’«éliminer pratiquement» le risque d’une fusion du cœur. Il existe même un récupérateur de corium qui permet de refroidir le cœur fondu en cas d’accident grave. Situé au fond du bâtiment du réacteur, il permet de recueillir et de refroidir le corium (mélange résultant de la fusion du combustible et des structures internes de la cuve).