Si la France considère que l’hydrogène vert, produit sans émissions de gaz à effet de serre, présente un intérêt limité, ce n’est pas vraiment le cas pour des pays aussi importants économiquement que la Chine, le Japon, la Corée du sud, Singapour et l’Allemagne. Ils ont tous des plans d’investissements massifs afin de créer une économie et des filières de l’hydrogène. Ils considèrent que dans certains domaines comme les transports de marchandises sur longue distance, l’industrie et dans une moindre mesure la chaleur, il s’agit du seul substitut possible aujourd’hui au carburant fossile. L’hydrogène permet aussi de stocker l’électricité renouvelable, éolienne et solaire, quand elle est abondante.
Comme l’explique à l’agence Bloomberg Fabian Huneke, un expert de Energy Brainpool:«l’hydrogène n’est pas une solution miracle, mais elle est la meilleure disponible aujourd’hui, notamment pour que l’industrie décarbonise sa production. Vous ne pouvez pas construire un système énergétique avec plus de 70% de renouvelables sans hydrogène».
9 milliards d’euros pour la production d’hydrogène vert
Et l’Allemagne vient d’afficher ses ambitions dans ce domaine. Le 4 juin, son gouvernement a adopté un plan de dépenses publiques de 130 milliards d’euros qui s’ajoutent aux 1.100 milliards annoncés en mars pour relancer son économie. Sur les 50 milliards d’euros affectés aux investissements et au soutien de la recherche et de l’innovation, 9 milliards sont attribués à la production d’hydrogène et 6,7 milliards à la promotion de la voiture électrique et aux bornes de recharge. Toutes les stations-services du pays devront en être équipées. L’année dernière, il s’est vendu en Allemagne 59,2% de voitures essence, 32% de voitures diesel et seulement 1,8 % de voitures électriques.
Sur les 9 milliards consacrés à l’hydrogène, 7 milliards le seront pour des usines de production d’hydrogène vert sur le sol allemand et 2 milliards à la conclusion de partenariats avec des pays qui pourront produire assez facilement, notamment via l’énergie solaire, des quantités importantes d’hydrogène. Le pays a déjà signé un accord avec le Nigéria pour construire une filière hydrogène dans 15 pays de l’ouest africain. Les importations permettront à l’Allemagne de s’assurer de pouvoir disposer en permanence de quantités suffisantes d’hydrogène vert pour alimenter ses besoins industriels et de transport. Berlin envisage de conclure aussi de tels accords dans d’autres régions du monde et avec d’autres pays comme l’Australie et l’Arabie Saoudite.
L’Allemagne privilégie ainsi massivement le développement des voitures électriques, qu’elles soient à batteries ou à hydrogène. Dès la fin de 2019, le ministre des Transports, Andreas Scheuer, avait affirmé que l’hydrogène était l’un des carburants du futur et que la production d’hydrogène décarboné une opportunité industrielle majeure.
Dès février 2020, les objectifs étaient affichés: 20% des besoins en électricité assurés par l’hydrogène décarboné grâce à 3 à 5 GW de capacité d’électrolyse, 60.000 voitures particulières et 500 véhicules utilitaires à hydrogène en circulation en 2021 avec 2,1 milliards de prime à l’achat jusqu’en 2023, 600 millions d’euros pour les laboratoires de recherche d’ici 2025… Et 5 GW de capacités d’électrolyse supplémentaires seront installés dans les années 2030.
La France n’a aucune ambition dans l’hydrogène
La route est maintenant tracée pour créer une filière d’hydrogène vert. L’Allemagne va exploiter sa production d’électricité renouvelable qui couvre aujourd’hui 46% de ses besoins. Le stockage de l’électricité grâce à la production d’hydrogène permettra de pallier l’intermittence du fonctionnement des panneaux solaires et des éoliennes et de réduire les pertes liées à l’acheminement par lignes à haute tension.
En finançant la recherche et le développement, les usines de production d’hydrogène, les stations-service et l’achat de véhicules, l’Allemagne dessine une stratégie de conquête que Peter Altmaier, ministre de l’Economie, affirmait, début novembre 2019 dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung: «Nous devons poser les jalons pour que l’Allemagne devienne le numéro un mondial des technologies de l’hydrogène ».
Berlin considère que pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris de 2015 pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, les éoliennes, les panneaux solaires et les voitures électriques seront très insuffisants. Comme le souligne l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’électricité ne représente qu’un cinquième de l’énergie consommée en Allemagne. Les énergies fossiles comptaient encore pour plus de 79% de la consommation annuelle d’énergie primaire du pays en 2018. La faute aux transports, à l’industrie, au chauffage et à la climatisation.
La concurrence et la compétition ne viendront certainement pas de la France. D’une part, RTE (le réseau électrique) et la Commission de régulation de l’énergie y sont fermement opposés, pour des raisons de défense d’intérêts existants, et d’autre part, la loi de programmation pluriannuelle de l’énergie ou PPE y fait à peine allusion.