La malédiction du chantier de l’EPR, réacteur nucléaire de troisième génération, de Flamanville (Manche) n’a toujours pas disparue. Pour preuve, l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) vient de demander à EDF de reprendre près d’une centaine de soudures, en plus des huit défectueuses situées sur l’enceinte même du réacteur. Cela intervient après la prolongation fin mars au Journal Officiel du délai maximal de mise en service du réacteur jusqu’en 2024. Le décret d’origine, pris en 2007, il y a 13 ans… prévoyait une durée maximale pour le chargement du combustible dans le réacteur en avril 2020.
L’EPR de Flamanville, dont la construction a commencé en 2007, devait initialement entrer en service en 2012 et coûter 3,3 milliards d’euros… Il devrait, si tout se passe bien, entrer en service fin 2023 ou début 2024 et son coût de fabrication sera alors compris entre 13 et 14 milliards d’euros. Les problèmes n’ont cessé de se multiplier.
Des principes négligés
Parmi les plus graves malfaçons de Flamanville, on peut citer des fissures dans le béton constatées en 2008 et puis en 2011. En 2015, il est apparu que le couvercle et le fond de la cuve du réacteur présentaient des défauts. L’ASN avait alors accepté que le couvercle soit changé en 2024. A l’époque, cela aurait dû être quelques années après la mise en service du réacteur. Mais un autre problème encore plus grave est apparu publiquement l’an dernier. La nécessité de refaire des soudures très importantes pour la sécurité du réacteur qui ne sont pas aux normes de solidité et de qualités exigées, inscrites pourtant dans le cahier des charges. Parmi celles-ci, il y a notamment huit soudures essentielles qui se trouvent sur les tuyauteries principales d’évacuation de la vapeur du réacteur nucléaire vers les turbines. La «traversée», en langage technique, des parois de l’enceinte de confinement, ultime protection en cas d’incident pour éviter un rejet de radioactivité dans l’atmosphère. Pour pouvoir commencer les travaux de réparation, EDF doit maintenant faire valider par l’ASN la technologie mise en œuvre par le robot qui va procéder à la reprise des soudures. Cette homologation s’annonce longue tant la confiance entre l’ASN et EDF a disparu au fil des années. L’autorité s’est à plusieurs reprises publiquement interrogée sur la perte dramatique de savoir-faire et de compétence de l’industrie française.
Elle vient encore de le faire la semaine dernière en dénonçant «un déficit de culture de précaution dans notre pays», par la voix de son Président, Bernard Doroszczuk, auditionné au Sénat le 27 mai, à l’occasion de la remise du rapport annuel de l’Autorité. Il en veut pour preuve deux événements ayant eu lieu dans les centrales nucléaires d’EDF à Golfech (Tarn-et-Garonne) et à Penly (Seine-Maritime) en 2019. Ils marquent «un franchissement des barrières de sûreté». A Penly, deux interventions ont été réalisées au même moment, avec les mêmes composants, sur deux tableaux électriques. Certains composants se sont révélés défectueux. L’incident n’a pas entraîné de conséquences majeures mais «le fait d’avoir volontairement franchi la barrière de sûreté pose problème.» Le principe, normalement inviolable, de la barrière de sûreté consiste à ne pas faire deux interventions touchant à la sécurité en même temps.
Autre problème soulevé, «depuis de nombreuses années, l’ASN attire l’attention sur la capacité d’entreposage des combustibles usés insuffisante. EDF devait ainsi s’engager à créer de nouvelles capacités avant fin 2020 mais cette échéance ne sera pas respectée», prévient Bernard Doroszczuk.
Capacités d’ingénierie mises à l’épreuve
Si le niveau de sûreté dans les installations nucléaires a été jugé «acceptable» l’an dernier par l’Autorité, cette dernière note un «recul de la rigueur d’exploitation d’EDF» dont les capacités d’ingénierie sont de plus en plus mises à l’épreuve. «EDF a un programme industriel extrêmement ambitieux et ses ressources sont extrêmement sollicitées», souligne explique Doroszczuk.
Cela est d’autant plus préoccupant qu’EDF pourrait rencontrer dans les prochaines années des problèmes de capacités de production liés à une conjonction inédite de problèmes. Le groupe public devra mener toute une série de visites décennales, le grand carénage, afin de prolonger la durée de vie de ses réacteurs au-delà de 40 ans. Il devra également assurer des capacités de production suffisantes avec la conjonction du retard de Flamanville, de la fermeture de la centrale de Fessenheim, de la fermeture des dernières centrales d’appoint à charbon et le retard, lié notamment au coronavirus, d’opérations d’entretiens de certaines centrales.
A Flamanville, ce sera finalement près d’une centaine de soudures qui devront être corrigées, contre une cinquantaine jugée non conforme initialement. Et les contrôles ne sont pas encore terminés… «Nous avons demandé à EDF d’étendre la revue de fabrication sur d’autres équipements que les tuyauteries pour s’assurer qu’il n’y a pas d’autre anomalie. Ce bilan est en cours», a indiqué le Président de l’ASN. On peut parler de cauchemar.