Pour beaucoup de politiques et de commentateurs, l’avenir de l’automobile est tracé, ce sera le véhicule électrique, et ceux qui résistent encore sont les héritiers des nostalgiques des diligences et des voitures à chevaux. Et si c’était plus compliqué que cela ? Et si l’enthousiasme de ces « modernes » avait pour conséquence un carnage de l’industrie automobile française (et allemande) sans bénéfice ni pour le consommateur, ni pour le contribuable, ni pour la planète ?
Commençons par bousculer une idée répandue mais erronée, à savoir que le véhicule électrique sauve la planète car il ne rejette pas pendant son utilisation de gaz à effet de serre. La science nous apprend à regarder l’ensemble du cycle carbone depuis la production des matières premières, la fabrication, l’utilisation et le recyclage avant d’affirmer la« neutralité carbone ». Les calculs faits sur le véhicule électrique à cet égard ne plaident pas en sa faveur car les matériaux utilisés pour fabriquer les batteries sont très énergétivores, de même pour le recyclage, tandis que l’infrastructure nécessaire à la recharge est un problème complexe. Par ailleurs tout dépend de l’origine de l’électricité, la disponibilité obligatoire aux périodes de recharge pour les consommateurs conduit à privilégier les sources pilotables et donc nucléaires, fossiles ou hydrauliques. Ce n’est pas à partir du bilan carbone que l’on peut trouver les arguments pour favoriser le véhicule électrique.
Sa promotion vient d’un autre côté, celui de la pollution des villes avec les véhicules au gazole ou à l’essence et surtout des grosses conurbations, qui ont densifié l’habitat et multiplié les embouteillages et donc les consommations inutiles de carburants et leurs rejets hostiles à la qualité de l’air. Les remèdes utilisés ont été au cours des dernières années la coercition financière avec les paiements de stationnement, les amendes, les couloirs de circulation, les zones piétonnières, jusqu’à interdire certains types de véhicules et créer des péages urbains… L’automobiliste est devenu l’ennemi à abattre. La première réponse de l’industrie a été le véhicule hybride, roulant à l’essence mais électrique dans les villes, ce qui ne modifie pas l’infrastructure et permet au consommateur de ne pas tomber en panne autrement que faute de carburant. La deuxième réponse, poussée par les responsables des grandes villes, a été le véhicule électrique pour lequel les constructeurs constatent une résistance de leurs clients qui ont peur de la panne électrique et des difficultés de la recharge.
Il n’en reste pas moins que la densité urbaine et la pollution conséquente demandent des mesures qui passent sûrement par la multiplication des flottes de véhicules d’entreprises avec une propulsion plus « propre ». Les bus, les cars, les transports de marchandises, les postes… auraient du passer à l’électrique depuis très longtemps et c’est ainsi que les Chinois, confrontés à ce problème, ont exercé leur pouvoir de coercition pour devenir les leaders en ce domaine, en particulier dans le secteur des batteries où ils ont désormais un quasi-monopole (avec les Sud-Coréens).
Il y a donc la possibilité de promouvoir la propulsion électrique, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre car on ne fait, au mieux, que déplacer les rejets. Le véhicule électrique est essentiellement une façon de traiter le problème de la pollution de l’air dans les métropoles, mais est-ce la seule solution ?
Une autre idée consiste à aménager l’espace avec la multiplication des transports collectifs. On peut aussi revenir aux véhicules thermiques imaginés lors du choc pétrolier de 1973 : faible vitesse, un litre d’essence ou de gazole aux cent kilomètres.
Le plus facile est de contraindre à l’achat du véhicule électrique par coercition. La Chine a tenté cette séquence en multipliant en plus les incitations. Pour 26 millions de véhicules vendus, elle est arrivée à 90 0000 véhicules électriques l’an dernier. Mais elle commence à reconsidérer sa politique d’incitation à l’achat et augmente les contraintes sur les constructeurs. C’est dans le même registre ce que la Commission européenne a fait, mais avec l’hypocrisie injustifiée du sauvetage de la planète. Et sans vraiment mesurer les conséquences industrielles et sociales.
Il faut en revenir aux réalités de l’industrie automobile française (et européenne) cherchant à satisfaire le client…celui qui achète la voiture. C’est le moteur thermique qui a permis son développement, avec ses centaines de milliers d’ouvriers et ses millions de conducteurs. L’excellence est, à cet égard, européenne, copiée par tous les pays du monde, en particulier asiatiques. Les attaques contre le diesel ont été une première catastrophe, mal assumée et mal négociée, la seconde salve qui «oblige» au véhicule électrique va conduire à des drames industriels en cascade, car 40 % du prix réside dans la batterie et il va falloir dix ans pour revenir sur nos retards industriels.
Le devenir du véhicule électrique universel ne va pas de soi, car il ne répond pas aux critères essentiels du client : disponibilité et flexibilité, liberté.
L’automobile est, certes, un instrument de mobilité, mais c’est autre chose aussi et pour effectuer une transformation drastique des habitudes, il faut plus que des postures et des anathèmes. Il faut en tous les cas plus que des affirmations mensongères. L’avenir va être à la cohabitation de véhicule aux systèmes de propulsion variés selon les réalités de chaque univers et de chaque consommateur, personne n’en détient les clés.
Contraindre, interdire, tout cela est illusoire. Les régimes autoritaires conduisent toujours à la rébellion et à la demande de liberté, cela prend, hélas, du temps, mais l’humanité brise ses chaînes.
Loïk Le Floch Prigent