Selon une étude publiée au début du mois par un consortium de scientifiques internationaux (Chinois, Américains, Allemands et Français), la baisse des émissions de CO2 dans le monde devrait avoir été de 5,8% au premier trimestre. Une mise à jour des données avec celles du mois d’avril montre une chute de 7,3% au cours des quatre premiers mois de l’année. Ce recul provient avant tout des transports et de l’industrie dont l’activité a considérablement baissé avec le confinement planétaire et représente 886 millions de tonnes d’émissions de CO2 de moins que sur la même période en 2019 (542 millions de tonnes en moins au premier trimestre).
Un recul de 7,3% des émissions de dioxyde de carbone, c’est peu et beaucoup à la fois. Il s’agit de la plus forte baisse enregistrée depuis la seconde guerre mondiale, mais elle est finalement assez limitée dans un contexte de pandémie aussi exceptionnel. Non seulement parce que cette baisse est, par définition, temporaire et aussi parce qu’elle est la conséquence du confinement de plusieurs milliards de personnes, notamment dans les pays les plus industrialisés et développés qui consomment le plus d’énergie.
Les énergies fossiles ont assuré l’an dernier, 81% de la consommation d’énergie dans le monde
Cette expérimentation en grandeur réelle du changement contraint de comportements de milliards de personnes montre aussi les limites de la décroissance. Les deux tiers de la planète ont réduit grandement leur usage de l’automobile et des transports collectifs, n’ont plus pris l’avion et ont adopté de fait un mode de vie plus frugal. Les échanges internationaux ont fortement diminué tout comme une partie des activités industrielles. La décroissance, tant souhaitée par les collapsologues, s’est produite là sous nos yeux. Soudaine, massive et planétaire, elle n’a pourtant pas été à la hauteur des enjeux de la transition
Les auteurs de l’étude soulignent que les baisses d’émissions, pour spectaculaires qu’elles semblent, ne seront que transitoires si la sortie de crise ne donne pas lieu à des investissements massifs dans des technologies bas carbone pour l’industrie, les transports et la production d’électricité. Pour réduire durablement et fortement les émissions de gaz à effet de serre, il faut des changements structurels profonds sur la façon de produire et de consommer l’énergie.
Ce que ne cesse d’écrire l’universitaire Vaclav Smil, qualifié de penseur de l’énergie. «La réalité est que nous brûlons chaque année 10 milliards de tonnes de carburants fossiles. Comment pouvons-nous nous débarrasser de 10 milliards de tonnes…», déclarait-il dans une interview accordée à Transitions & Energies. «Il y a beaucoup de choses que nous ne pouvons pas faire aujourd’hui sans énergies fossiles. Comment chauffer en hiver des centaines de millions de logements? Comment produire par an 1,6 milliard de tonnes d’acier, 4,6 milliards de tonnes de ciment et 180 millions de tonnes d’ammoniac? L’industrie n’a pas aujourd’hui de solutions réalistes et viables et n’en aura pas, au mieux, avant dix à quinze ans. Nous n’avons pas aujourd’hui la moindre technologie pour remplacer les carburants fossiles dans le transport maritime. Les avions électriques sont une plaisanterie: deux sièges et vingt minutes d’autonomie…», ajoutait-il.
Pour en revenir à la baisse de 7,3% des émissions de CO2 de janvier à avril, ce niveau relativement bas s’explique avant tout par le fait que les activités vitales -la production d’électricité, l’agriculture, le chauffage, les transports de denrées stratégiques- se sont poursuivies. Il ne pouvait pas en être autrement. Et qu’il ne faut pas perdre de vue que les énergies fossiles ont assuré l’an dernier 81% de la consommation d’énergie dans le monde. Elles devraient en représenter encore 74% en 2040.
L’industrie et les transports
Les deux plus importants éléments de la baisse des émissions durant le confinement auront été l’industrie et les transports. Ils ont contribué, au premier trimestre, pour plus de 300 millions de tonnes de CO2. La plus grande part provient de l’arrêt des activités industrielles, avec une baisse de 157,9 millions, soit 7,1% en moins par rapport à 2019, et les transports routiers, avec 145,7 millions de tonnes évitées, soit une chute de 8,3%.
Cela montre notamment que si les transports représentent une part importante des émissions carbonées mondiales, entre 20 et 24% selon les études, dont une très large partie pour le transport routier, l’effort doit porter sur l’ensemble des activités humaines. A savoir, la production d’électricité à partir de charbon et de gaz naturel, la chaleur, l’industrie et l’agriculture.
L’utilisation continue du charbon, particulièrement émetteur de CO2, est un problème considérable. Pas moins de 60% de l’augmentation des émissions de CO2 dans le monde depuis 20 ans provient de centrales électriques fonctionnant au charbon, en Chine, en Inde et même en Europe, notamment en Allemagne et dans les pays de l’Est.
Il n’y a en fait qu’une seule stratégie possible permettant de remplacer progressivement les énergies fossiles. Il faut promouvoir et développer à grande échelle le solaire, l’éolien, le nucléaire, l’hydrogène, la géothermie, les nanotechnologies, la géo-ingénierie… et la capture et la séquestration du CO2. Le reste, c’est de la littérature.