Une des conséquences possibles du choc créé par la pandémie de coronavirus pourrait bien être la remise en cause du modèle de concentration des populations et du pouvoir économique, voire même politique, dans les métropoles. Il n’est pas sûr qu’Anne Hidalgo, la maire de Paris, ait bien perçu cet enjeu. On pourrait assister, en quelque sorte, à la revanche des zones périphériques, les petites villes et les zones périurbaines, pour reprendre l’expression du géographe Christophe Guilluy. Il a popularisé le terme de France périphérique, bien avant la révolte des gilets jaunes.
L’ère des méga-cités et des grandes capitales, dont rien ne semblait pouvoir arrêter l’expansion, au détriment souvent de leur arrière-pays, est peut-être en train de se terminer. «On pourrait assister à une dispersion nouvelle et nécessaire de la population, non seulement sur les grands territoires d’Amérique du nord et d’Australie, mais aussi dans les mégalopoles du monde en développement», écrit Joël Kotkin, directeur exécutif de l’Urban Reform Institute de Houston au Texas, pour le site de réflexion australien Quillette.
Coût élevé des logements, désordres sociaux, insécurité, vulnérabilité aux épidémies
La pandémie jouerait un rôle d’accélérateur d’une évolution en cours peu visible, liée aux prix élevés des logements, aux désordres sociaux de plus en plus fréquents dans les capitales, à l’essor ininterrompu du commerce en ligne et à la généralisation du télétravail. Il faut y ajouter maintenant évidemment les questions de santé.
«Les pandémies adorent les grandes villes multiculturelles où les gens vivent «les uns sur les autres» et où les voyages à destination et en provenance de pays étrangers sont une réalité aussi touristique que commerciale…», écrit Joël Kotkin. Dans toutes ses villes, les transports en commun bondés ont accéléré la transmission de l’épidémie. En revanche, dans le monde, les zones rurales ont été largement épargnées.
«Vivre en dispersion ne vous sauvera peut-être pas de la maladie, mais être loin des gens, conduire sa propre voiture et avoir des voisins que l’on connaît a ses avantages lors de crises comme celle que nous traversons actuellement». Ce que de nombreux citadins ont compris instinctivement, les new yorkais et les parisiens, qui en avaient les moyens et la possibilité, ont fui vers leurs résidences secondaires…
De fait, l’urbanisation crée des problèmes d’hygiène, surtout quand elle est anarchique et extraordinairement rapide. En Chine, par exemple, «derrière les impressionnants gratte-ciel des mégapoles chinoises, de nombreux citadins, en particulier s’ils font partie des quelque 200 millions de travailleurs migrants, vivent dans des quartiers surpeuplés et insalubres… Même avant le Covid-19, les habitants des villes très industrialisées comme Wuhan avaient une espérance de vie plus courte que ceux des campagnes.»
La technologie ouvre la voie à la «contre-urbanisation»
Au cours des dernières années, de nombreuses villes occidentales ont vu se multiplier les quartiers insalubres. Dans toute l’Europe, les campements de migrants et de sans-abri sont en augmentation. Paris n’arrive plus à s’en débarrasser.
En tout cas, autrefois objet de rêve et de fantasmes, la mégapole a perdu beaucoup de ses charmes. Et pour Joël Kotkin, la dispersion a déjà commencé. Le nombre d’habitants à Paris ne cesse de diminuer. Ce mouvement est ecnore plus manifeste aux États-Unis où, depuis 2010, la quasi-totalité de la croissance démographique se joue dans les périphéries urbaines et les petites villes.
Les nouvelles technologies permettent aux entreprises de travailler de plus en plus facilement loin des denses mégapoles, selon un processus que l’auteur britannique Luke Beirne qualifie de «contre-urbanisation». Pour les entreprises fonctionnant essentiellement via internet, il est plus logique de s’installer dans les régions périphériques et les petites villes, généralement plus sûres, plus propres et moins chères. Contrairement aux idées reçues sur les villes grandes gagnantes de la mondialisation, la part de l’économie contrôlée par les cinq plus grandes métropoles américaine n’a cessé de diminuer depuis vingt-cinq ans note l’économiste Jed Kolko,. Des tendances similaires voient le jour en Europe, selon une étude des économistes Nima Sanandaji et Stefan Fölster.
Le repoussoir des transports en commun
La pandémie, qui force de plus en plus de gens au télétravail, ne peut que renforcer une tendance déjà existante. Aux États-Unis, l’utilisation des transports en commun dans la plupart des villes stagne, voire diminue, tandis que le télétravail connaît une croissance rapide: +140% depuis 2005. En Europe, le pourcentage de personnes travaillant à domicile est passé de 7,7% en 2008 à près de 10% aujourd’hui (avant le coronavirus).
Cela donne la possibilité de vivre dans une petite ville ou même dans un village à un prix abordable, avec une bonne qualité de vie tout en continuant d’être un maillon de l’économie mondiale. Cela séduit les travailleurs âgés expérimentés comme les jeunes familles. Le travail dispersé permet également d’accélérer la transition énergétique, notamment en réduisant considérablement les besoins de transports urbains et en facilitant la production décentralisée d’énergie autoconsommée (éolien, solaire, géothermie…) .
«Avec l’essor de la dispersion, nos villes vont devenir plus plates et moins denses. Bon nombre de leurs fonctions primaires –restauration, médias, services commerciaux et professionnels, finance– pourront continuer à tourner sans contacts humains indésirables. Elles ressembleront moins à la très peuplée «cité radieuse» de Le Corbusier qu’à la «ville étendue» de l’architecte américain Frank Lloyd Wright –des maisons et des jardins s’étalant sur un vaste territoire… Loin de nous faire plonger dans un Moyen Âge hyper-technologique, cette crise pourrait nous servir à développer un nouveau modèle économique et social plus humain. Du cosmopolitisme dans un mode de vie plus sûr et plus sain.»