Le fiasco du chantier du réacteur EPR de Flamanville n’est pas seulement industriel et financier. Plus grave encore, il dégrade la réputation et la confiance dans une des rares filières technologiques où la France reste à la pointe.
La malédiction Flamanville ne pouvait tomber à un plus mauvais moment. Quand le gouvernement doit prendre, enfin, des décisions stratégiques et d’investissements majeures qui vont conditionner l’avenir de l’énergie nucléaire en France au XXIe siècle. D’ores et déjà, en catimini, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) a abandonné le prototype de réacteur nucléaire de quatrième génération dit à neutrons rapides. il aurait pu un jour succéder à l’EPR. La volonté politique n’existe plus. Et pourtant, la transition énergétique est impossible en l’état actuel des choses sans le nucléaire.
Pour preuve, le modèle énergétique allemand, la fameuse révolution de l’Energiewende lancé en 1991, celle du tout renouvelable et de l’électrification, montre clairement aujourd’hui ses limites. Elle coûte très cher, à l’État et au consommateur, sans réduire les émissions de gaz à effet de serre, la seule chose qui compte vraiment. Pourquoi? Du fait notamment de l’abandon par l’Allemagne d’une base nucléaire de production d’électricité sans CO2, pour des raisonsavant tout politiques et idéologiques.
À quoi cela sert d’avoir près de 40 % d’électricité d’origine renouvelable, si c’est pour activer des centrales au charbon la nuit où quand le vent vient à manquer ? L’Allemagne a fait le choix incohérent de parier sur les renouvelables et d’abandonner dans le même temps l’électricité nucléaire. La France, avec son parc nucléaire sans équivalent dans le monde, se trouve, en terme d’émissions de gaz à effet de serre, dans une situation bien meilleure. L’Allemagne représente 22,5 % des émissions de CO2 de l’Union européenne et la France 10 %. Mais la France doit conforter son modèle. Elle doit maintenant impérativement faire des choix stratégiques et politiques de long terme. Ils portent sur l’allongement de durée de vie de son parc nucléaire existant et le lancement d’un programme de constructions de nouveaux réacteurs EPR.
Selon les engagements des pouvoirs publics, 14 réacteurs (sur les 58 en fonction) devront être arrêtés d’ici à 2035.
Comment planifier la fermeture progressive des anciennes centrales nucléaires et la construction de nouvelles si le prototype, celui de Flamanville, n’est toujours pas opérationnel et si sa construction est une suite de déconvenues, d’erreurs et même de dissimulations ? La transition énergétique est construite sur deux principes. Le premier est l’abandon progressif des énergies fossiles, afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le second est l’électrification de l’usage des énergies, qui est le seul moyen d’atteindre le premier objectif. La plupart des experts, qui ne sont pas guidés par la crainte de tout ce qui porte le nom de nucléaire, estiment que l’électricité issue de l’atome est indispensable pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de carbone. Cela passe par un travail de pédagogie auprès de l’opinion publique et des décideurs politiques et par une indépendance et une rigueur inattaquables des autorités de contrôle et de sûreté.
Les errements du chantier de Flamanville ont rendu les choses beaucoup plus compliquées. ils mettent à mal la confiance dans l’honnêteté et les capacités des opérateurs et des industriels.
Pourtant, les énergies renouvelables, si elles sont nécessaires, ne peuvent être qu’un aspect du remède à notre dépendance aux énergies carbonées. L’Allemagne en est la parfaite illustration. Les renouvelables sont par définition intermittentes. À l’arrêt quand il n’y a pas de vent ou de soleil. Les capacités de stockage de l’électricité propre sont aujourd’hui coûteuses et technologiquement très insuffisantes. Peut-être qu’une économie de l’hydrogène changera les choses. Nous en sommes encore loin. Les énergies renouvelables sont aussi peu efficaces. En règle générale, le nucléaire produit en moyenne 80 à 90 % de ses capacités théoriques sur une année, le charbon entre 50et 60 % et le solaire de 10 à 20 %.
Les renouvelables ont un autre inconvénient peu souvent évoqué. Elles sont peu intensives et nécessitent de grandes surfaces, de nombreuses installations et beaucoup de matériaux. Pour produire d’importantes quantités d’électricité à partir de faibles flux énergétiques, il faut les répartir sur de grandes superficies. Les fermes solaires occupent 450 fois plus de terrain qu’une centrale nucléaire pour produire la même quantité d’énergie et les champs d’éoliennes 700 fois plus d’espace qu’un gisement de gaz naturel pour produire la même quantité d’énergie.
Le nucléaire, énergiquement dense, nécessite bien moins de matériaux et produit beaucoup moins de déchets en quantité que le solaire et à l’éolien. Les panneaux solaires nécessitent 17 fois plus de matériaux (ciment, verre, béton et acier)que les centrales nucléaires et génèrent plus de 200 fois plus de déchets. il n’existe aucun plan de retraitement pour les panneaux solaires arrivant en fin de vie, après 20 à 25 ans d’exploitation. ils contiennent d’importantes quantités de métaux lourds (plomb, cadmium, chrome…). En d’autres termes, le problème des énergies renouvelables n’est pas seulement technique, il est aussi naturel.
On peut bien sûr faire le pari que les problèmes soulevés par le solaire et l’éolien seront résolus par une révolution technologique dans les batteries permettant de stocker à moindre coût d’importantes quantités d’électricité produites quand il y a beaucoup de vent et de soleil. Le graphène pourrait jouer un rôle majeur. Mais cette révolution, promise depuis des années, n’a toujours pas vu le jour.
La solution la plus efficace, aujourd’hui et très certainement dans les prochaines décennies, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre passe par une combinaison renouvelable et nucléaire. La comparaison de la France et de l’Allemagne est imparable. Les émissions de CO2 en Allemagne sont stables depuis 2009, malgré près de 500 milliards d’euros investis dans un réseau électrique bourré d’énergies renouvelables, ce qui s’est traduit une augmentation de 50 % du coût de l’électricité. Et encore l’Allemagne achète parfois de l’électricité nucléaire française bon marché. Sur la même période, la France a produit un dixième des émissions de CO2 allemandes par unité d’électricité produite et paye son électricité quasiment moitié moins cher.
Sous pression de l’exemple allemand et de la frénésie médiatique et politique pour « sauver la planète », la France a investi des dizaines de milliards d’euros dans les énergies renouvelables au cours des dix dernières années. Avec quel résultat ? Une augmentation de l’intensité en carbone de son offre électrique et des prix de l’électricité plus élevés.
Si le nucléaire est indispensable, cela ne veut pas dire qu’il s’agit d’une panacée. La question de la sûreté de cette énergie et celle du devenir de ses déchets sont tout sauf anodines. Les dysfonctionnements répétés à Flamanville illustrent l’importance d’avoir des autorités de contrôle indépendantes.
Il y a aussi les risques tels qu’ils sont perçus et leur réalité. Toutes les grandes études, y compris celle publiée en 2007 dans la très respectée revue médicale britannique The Lancet, montrent que le nucléaire est le moyen le plus sûr pour produire de l’électricité de manière fiable. Parce que les centrales nucléaires produisent de la chaleur sans feu, elles ne dégagent aucune pollution atmosphérique. En revanche, selon l’Organisation mondiale de la santé, les particules produites par les combustibles fossiles et la biomasse entraînent la mort prématurée de sept millions de personnes par an dans le monde.
Le problème du nucléaire, est qu’il fait peur, qu’il est impopulaire et qu’il est très mal connu. il est victime d’un demi-siècle de campagnes menées contre lui par les pacifistes, les lobbys des énergies fossiles et des énergies renouvelables et les militants écologistes. Le résultat est édifiant. Selon un sondage BVA réalisé en avril 2019, dans l’esprit de la grande majorité des Français (69 %), les centrales nucléaires contribuent au réchauffement de la planète. Ce qui est totalement faux. Une opinion encore plus majoritaire (86 %) chez les plus jeunes, les 18-34 ans…
Si l’opinion est aussi persuadée que la catastrophe de Fukushima a fait en 2011 des milliers de victimes (elle n’en a fait aucune liée directement aux défaillances des réacteurs) et que les déchets nucléaires sont un problème insoluble, l’avenir du nucléaire et de la transition s’annoncent sombres.
Il est compréhensible que les militants de la lutte contre le changement climatique soient les promoteurs des énergies renouvelables. Elles donnent l’impression de pouvoir harmoniser la société humaine avec le monde naturel. Mais il faudrait également qu’ils analysent sérieusement les données scientifiques.
Le bon modèle en Europe est celui de la Suède, pas de l’Allemagne. Le PIB par habitant est presque le même dans les deux pays et les Suédois consomment un tiers d’énergie en plus par personne que les Allemands. Pourtant, l’Allemagne émet deux fois plus de CO2 que la Suède par habitant.
La Suède a été le premier pays à décider d’abandonner le nucléaire sous la pression de l’émotion et de son opinion publique après l’accident de la centrale américaine de Three Mile Island en 1979. Elle est revenue en 2009 sur sa décision. La combinaison des énergies renouvelables et du nucléaire est pour l’instant la plus efficace. La Suède est à moitié renouvelables, à moitié nucléaire.
Une étude du cabinet Deloitte publiée en avril résume parfaitement la problématique. L’Union européenne devra avoir au moins 25 % de son électricité d’origine nucléaire d’ici 2050 si elle entend respecter ses objectifs de réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre à cette date. À un moment, il faut vraiment savoir ce que l’on veut et s’en donner les moyens.
Eric Leser