« Atomkraft ? Nein danke » (Puissance nucléaire ? Non merci). Ce slogan, lancé au Danemark en 1975, a eu un énorme succès en Allemagne. Pour protester contre la construction de centrales nucléaires, des dizaines de milliers d’automobilistes ont collé sur leur voiture un petit autocollant jaune montrant un soleil souriant. Nos voisins n’avaient toutefois pas attendu cettecampagne pour s’opposer à l’atome.
Déjà dans les années 1950, la confédération syndicale DgB et le parti social-démocrate (SPD) s’opposaient à la prolifération des armements nucléaires. Durant la guerre froide, les « Marches de Pâques » réunissaient les personnes qui s’élevaient « contre toute arme nucléaire de quelque nation que ce soit ». En 1968, ces manifestations avaient rassemblé 300 000 personnes dans tout le pays. Après s’être essoufflé, le mouvement a regagné de l’ampleur dans les années 1980 lorsque l’Otan a décidé de positionner sur le territoire ouest-allemand des « euromissiles » de courte et moyenne portée pour faire face aux SS20 soviétiques de même nature. Le pacifisme allemand était alors très fort, le pays étant le champ de bataille désigné entre l’Est et l’Ouest. Le slogan alors à la mode était « besser rot als tot », plutôt rouge que mort.
Les premières « initiatives citoyennes » contre le nucléaire civil en Allemagne sont apparues dans les années 1970. La décision de construire une centrale nucléaire à Wyhl dans le Bade-Wurtemberg, au sud-ouest de l’Allemagne, a soulevé une vague d’opposition de la population locale. Les images retransmises à la télévision montrant des policiers traînant dans la boue des fermiers et leurs épouses, le 18 février 1975, ont créé l’indignation dans tout le pays. Cinq jours plus tard, 30 000 personnes ont envahi le terrain sur lequel devait être édifiée la centrale. Le projet a finalement été abandonné en 1977.
À la suite de l’accident de la centrale américaine de Three Mile island en 1979, des manifestations monstres ont réuni 200 000 opposants à Hanovre et Bonn. Ce mouvement a participé à la création du parti écologiste en 1980, qui entrera trois ans plus tard au Bundestag. Durant cette décennie, des réacteurs ont continué à être mis en route. La construction de la dernière centrale nucléaire en Allemagne remonte à 1989. Mais il a fallu attendre 2002 et l’arrivée au pouvoir de la coalition « rouge-verte » pilotée par gerhard Schröder pour que l’Allemagne annonce sa sortie du nucléaire. Un accord à l’amiable avec les industriels privés du secteur limitait à 32 ans la durée d’activité des réacteurs. Angela Merkel a tenté de revenir sur cette décision en rallongeant la durée de vie des centrales en activité mais l’accident de Fukushima, le 11 mars 2011, l’a conduit à changer radicalement de position en annonçant la fin de l’atome en 2022.
L’accident au Japon a soudain ravivé les peurs des Allemands envers le nucléaire. Dès l’annonce de la catastrophe, les particuliers se sont rués dans leurs pharmacies pour acheter des comprimés d’iodure de potassium, un composé chimiquedestiné à limiter les effets d’une contamination radioactive.
Les sites internet qui vendaient des compteurs geiger ont été en rupture de stock en quelques jours. Le 26 mars 2011, plus de 250 000 personnes ont manifesté dans toute l’Allemagne contre la politique nucléaire allemande. « On n’a jamais vu autant de gens se réunir de manière aussi rapide dans toute l’histoire du mouvement antinucléaire », expliquait alors Jochen Stay, un porte-parole d’Ausgestrahlt, l’une des principales associations antinucléaires en république fédérale.
L’opposition des Allemands au nucléaire a des racines à la fois culturelles, sociétales et politiques. « Les historiens ont beaucoup écrit sur ce sujet, explique Helmuth Trischler, le directeur de la recherche au Deutsche Museum de Munich. Lorsque l’Allemagne a décidé de construire des centrales nucléaires, la population a jugé qu’elle devait s’opposer à cette décision prise sans son accord pour montrer qu’elle n’accepterait plus jamais de se plier aux choix d’un régime autoritaire comme cela avait été le cas dans les années 1930. » Nos voisins ont également sans cesse lié le nucléaire civil à l’arme atomique que les nazis avaient cherché à obtenir. La question de la gestion des déchets radioactifs a aussi toujours préoccupé ce pays où les écologistes sont nombreux et puissants. La catastrophe de Tchernobyl le 26 avril 1986 a semé la panique dans toute l’Allemagne et a généré une véritable méfiance envers les politiques qui ont cherché, dans un premier temps, à minimiser l’impact du nuage radioactif qui a traversé le nord de la République fédérale. L’accident de la centrale de Fukushima au Japon a ravivé les craintes enfouies dans l’inconscient de la population.
Pragmatiques, les Allemands ont, dans un premier temps, accepté la construction de réacteurs nucléaires pour accompagner l’industrialisation de leur nation mais n’ont jamais ressenti, comme en France, de sentiment de fierté envers leur contrôle de l’atome. D’autant plus qu’ils ont longtemps craint d’être les premiers à recevoir les bombes atomiques soviétiques en cas de conflit Est-Ouest.
Frédéric Therin