Il s’agit avant tout de ce qu’on appelle sur les marchés financiers un phénomène technique. Il a le mérite d’illustrer la panique qui s’est emparée du marché pétrolier. Les cours du baril coté à New York, qualité WTI (West Texas Intermediate) pour livraison en mai, sont tombés lundi 20 avril en-dessous de zéro!
A la fin d’une séance historique et délirante, des spéculateurs cherchant désespérément à se débarrasser de barils dans un marché saturé et n’ayant plus de possibilités de stocker le pétrole ont payé des acheteurs… très cher, pour qu’ils les prennent! Un véritable krach. Mais il s’agit d’un phénomène de marché particulier parce que les contrats à terme arrivent à échéance mardi 21 avril et ceux qui les détiennent se sont retrouvés coincés et ont paniqué pour réussir à trouver des acheteurs physiques.
De plus de 60 dollars en janvier à -37 dollars en avril!
Mais comme les stocks de pétrole brut ont explosé aux Etats-Unis parce que la consommation s’est effondrée et les producteurs n’ont pas baissé leur production au même rythme, les spéculateurs ont été contraints non seulement de brader leurs prix pour les convaincre de se saisir de leurs barils mais de les rémunérer largement pour le faire! Ainsi, le baril de 159 litres de pétrole brut coté à New York, qui s’échangeait à plus de 60 dollars en début d’année et à 18,27 dollars vendredi 17 avril, a terminé la journée du lundi 20 avril à -37,63 dollars. Le baril de WTI n’était jamais tombé en dessous de 10 dollars depuis la création de ce contrat en 1983!
L’agence Bloomberg a résumé le krach par un seul mot: inélasticité. C’est-à-dire l’incapacité de l’offre de pétrole de s’adapter à la chute de la demande. Car cela est techniquement compliqué et cela coûte cher de fermer un gisement. Comme l’explique Bloomberg: «les dizaines de milliards de dollars échangés chaque jour sur les contrats à terme de WTI sont presque toujours débouclés financièrement, mais chaque contrat qui n’a pas été débouclé après son échéance doit être liquidé par une livraison physique du pétrole si les parties [le vendeur et l’acheteur du contrat] ne parviennent pas à un accord.»
Retour à un équilibre précaire
Selon l’Agence américaine de l’information sur l’énergie, les stocks de brut ont atteint aux Etats-Unis 635 millions de barils. Lundi soir, pour tenter de limiter la panique Donald Trump a annoncé l’achat de 75 millions de barils supplémentaires pour la réserve stratégique américaine. Sa limite autorisée est de 713,5 millions de barils.
Les cours du pétrole devraient retrouver dans les jours qui viennent un semblant de logique. Le contrat à terme pour livraison en juin de pétrole WTI a terminé la journée du lundi 20 avril à 20,43 dollars, celui pour juillet à 27 dollars et celui pour août à 30 dollars. Cela traduit le fait qu’un équilibre, précaire, pourrait être retrouvé sur le marché pétrolier, notamment après la baisse de la production orchestrée à partir du mois de mai par les pays producteurs. Il y avait d’ailleurs lundi 20 avril beaucoup plus d’échanges sur le contrat juin que le contrat mai. Et le baril de Brent de la mer du Nord, la référence européenne cotée à Londres, a terminé la séance du 20 avril à 25,57 dollars.
Le marché pétrolier est aujourd’hui avant tout le reflet de la santé de l’économie mondiale dont l’activité s’est effondrée avec la pandémie et le confinement de plus de la moitié de la population de la planète. La reprise de la consommation de pétrole dépend maintenant du redémarrage incertain des économies dans les prochaines semaines et les prochains mois. Personne n’est capable de pronostiquer la rapidité et l’ampleur de cette reprise tant la situation est inédite car jamais dans l’histoire l’économie mondiale ne s’était arrêtée aussi brutalement.
Attendre la reprise comme le messie
Si les producteurs de pétrole dans le monde ont bien fini par s’entendre sur une baisse de la production à partir du mois prochain, comprise entre 10 et 20 millions de barils par jour (10 à 20% de la production), cela ne fait que limiter la surproduction. Les pétroliers sont maintenant suspendus à la reprise tant espérée de la demande et notamment des activités de transport.
La semaine dernière, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) pronostiquait une possible éclaircie pour l’industrie pétrolière à la fin de l’année. Mais cela reste une hypothèse. «La demande du brut pourrait redevenir supérieure à l’offre dans le courant du second semestre, sur fond de forte réduction de la production et de gonflement des stocks. Ce scénario se matérialisera si les pays producteurs respectent leurs engagements et si un rebond économique, grâce aux mesures de relance, devient réalité», avait expliqué Fatih Birol, le directeur de l’AIE. Cela fait beaucoup de si.