La crainte de l’incendie ou de l’explosion des véhicules à hydrogène semble nourrie par le souvenir du drame du Zeppelin, il y a quatre-vingt deux ans… Depuis, la sécurité a fait des progrès au point de laisser s’installer une station-service hydrogène en plein cœur de Paris où une centaine de taxis circulent déjà en utilisant ce gaz comprimé sous 700 bars. Et les compagnies d’assurance ne considèrent pas que l’hydrogène présente un risque supérieur à celui des autres carburants.
Si vous prononcez le mot « hydrogène » dans votre entourage, il est fort probable que la première réaction sera : « Danger ! ». Comme si le spectre du LZ 129Hindenburg planait encore au-dessus de nos têtes. Ce dirigeable de la firme allemande Zeppelin contenant près de200 000 m3d’hydrogène s’est embrasé avant de s’écraser, le 6mai 1937 pendant son atterrissage à Lakehurst, aux États-Unis, provoquant la mort de 35 personnes sur les 97 présentes à bord. Même si les causes précises de l’accident semblent complexes, l’hydrogène a joué un rôle indéniable dans la propagation de l’incendie. Pour autant, aucune des victimes n’aété brulée. Elles sont mortes en sautant dans le vide par crainte des flammes. Les personnes restées à bord ont toutesété sauvées.
TRÈS PEU D’ACCIDENTS INDUSTRIELS. Dès que la concentration de l’hydrogène dans l’air est comprise entre 5 et 75 %, le mélange devient inflammable sous l’action d’un très faible apport d’énergie. L’explosion peut avoir lieu entre 13 et 65 % de concentration dans l’air. Par ailleurs, la taille de la molécule d’hydrogène (H2) est si petite qu’elle peut provoquer facilement des fuites. En revanche, sa légèreté extrême favorise une dispersion très rapide dans l’atmosphère, ce qui réduit les possibilités d’inflammation ou d’explosion.
Nier les risques particuliers liés à l’hydrogène serait donc absurde. Tout comme les considérer comme insurmontables. Pour preuve, son utilisation dans l’industrie. Depuis plus de cinquante ans, la société Air Liquide, créée en 1902, produit et distribue de l’hydrogène à ses clients dans la chimie et la pétrochimie. Dans le monde, ce sont 550 milliards de m3 qui sont ainsi utilisés chaque année. Air Liquide indique le nombre d’accidents à deux par an en moyenne sur les cinquante dernières années. À titre de comparaison, l’agence américaine du transport (DOT) a enregistré 3 200 accidents graves ou significatifs sur les seuls pipelines transportant du gaz naturel aux États-Unis entre 1987 et 2018, soit une centaine d’accidents par an. Bien entendu, si l’hydrogène se développe massivement dans les transports, le nombre d’accidents augmentera. Ainsi, à Santa Clara, en Californie, plusieurs camions ont pris feu le 1erjuin 2019 dans une usine de production d’hydrogène, sans faire de blessés. Le 10 juin, c’est en Norvège, à Sandvika, qu’une station de recharge en hydrogène pour voitures particulières a pris feu, causant deux blessés. Le fournisseur, Nel Hydrogen, a décidé de fermer 10 stations hydrogène en Europe et au États-Unis pour des raisons de sécu-rité en attendant les résultats de l’enquête.
DENSITÉ ÉNERGÉTIQUE. Nul doute que d’autres accidents se produiront. Ils résultent de la nature même de l’hydrogène et de l’une de ses caractéristiques majeures : sa densité massique, c’est-à-dire le rapport entre la masse et l’énergie contenue. L’hydrogène comprimé à 700 bars atteint ainsi 123 mégajoules par kilo (MJ/Kg). Soit 2,5 fois plus que l’essence, le diesel ou le méthane, près de trois fois plus que le propane, plus de cinq fois plus que le charbon et près de huit fois plus que le bois. En revanche, la densité de l’hydrogène dans les conditions naturelles de température (20 °C) et de pression atmosphérique (1 bar) est très faible. Ainsi, pour obtenir 1 kWh d’électricité avec une pile à combustible, il faut 333 litres d’hydrogène contre seulement quand 0,1 litre d’essence. Seule solution pour une automobile : comprimer le gaz à 700 bars dans un réservoir de 35 litres contenant ainsi environ 4,5 kg d’hydrogène gazeux. De quoi obtenir 500 km d’autonomie avec une voiture familiale. En faisant le plein en trois à cinq minutes dans une station-service hydrogène.
Tel est le pari de la compagnie de taxis parisiens Hype, créée en 2015 pendant la COP 21 qui s’est tenue à Paris. L’entreprise exploite aujourd’hui 100 véhicules (Hyundai Ix35 et Toyota Mirai) et vise les 600 taxis d’ici fin 2020. Pour alimenter sa flotte, Hype dispose de quatre stations hydrogène installées à Orly, Roissy, Loges et place de l’Alma. Question sécurité, on imagine mal des autorités parisiennes prenant le risque de placer une bombe potentielle au bout de l’avenue Montaigne, en plein cœur de la capitale. Ni de laisser des dizaines, demain des centaines, de taxis susceptibles d’exploser, sillonner les rues de Paris.
Un guide d’information sur la sécurité des véhicules et des stations-service à hydrogène, publié par l’Ademe en 2015, fait le point sur la règlementation en vigueur. Il note que les compagnies d’assurance ne considèrent pas les modèles à hydrogène comme des véhicules à risque spécifique. Les réservoirs qui font appel à la fibre de carbone sont testés, comme dans le transport de gaz en général, sous une pression de 1,5 fois la pression de service, soit plus de 1 000 bars. Ils sont conçus pour 5 000 cycles de remplissage correspondant à une durée de vie de vingt ans du véhicule. De nombreux tests de résistance au feu, aux impacts (dont des tirs à balles réelles), aux produits chimiques et aux entailles sont effectués. Les sapeurs-pompiers, s’ils sont conscients de risques spécifiques, considèrent les véhicules à hydrogène comme ni plus ni moins dangereux qu’un autre type de véhicules. De quoi, peut-être, faire disparaître, un jour, le spectre de l’Hindenburg…
Michel Alberganti