Pourquoi n’y a-t-il pas davantage de bâtiments en bois en France?

14 janvier 2020

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Pourquoi n’y a-t-il pas davantage de bâtiments en bois en France?

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Dans l’Hexagone, le secteur du bâtiment contribue à 26% des émissions de gaz à effet de serre directes – jusqu’à 40% si l’on intègre les émissions indirectes. Sa contribution aux efforts nationaux est donc indispensable pour se rapprocher de la neutralité carbone nécessaire à l’équilibre climatique.

Dans l’Hexagone, le secteur du bâtiment contribue à 26% des émissions de gaz à effet de serre directes – jusqu’à 40% si l’on intègre les émissions indirectes. Sa contribution aux efforts nationaux est donc indispensable pour se rapprocher de la neutralité carbone nécessaire à l’équilibre climatique.

En regardant les chiffres de plus près, on s’aperçoit qu’une part importante de ces émissions provient de la phase de production et de construction, donc des matériaux utilisés. Même si ces résultats dépendent fortement du type d’énergie employé pendant l’exploitation du bâtiment et de son isolation, cela montre qu’une grande partie des émissions se concentre sur les premières années du cycle de vie du bâtiment. Aujourd’hui, la production de produits cimentés en constitue la première source.

Une des pistes possibles pour améliorer ce bilan repose sur le recours à des produits de construction dont la production est moins intense en carbone. Un usage accru du bois constitue à ce titre un levier de réduction potentiellement important de ces émissions de gaz à effet de serre. En 2018, seuls 6,3 % des nouveaux logements étaient produits en bois.

Prolonger le stockage de carbone

 Dans un contexte d’urgence climatique, le temps constitue l’élément le plus précieux. Et c’est justement ce temps qu’offrent les produits en bois de construction via un stockage temporaire du carbone. Car l’arbre, pendant sa croissance, séquestre du carbone.

Utiliser des produits en bois pour construire permet donc de prolonger la durée de vie de ce matériau et d’éviter le relargage de carbone en fin de vie de l’arbre. Le carbone stocké par les arbres demeure ainsi séquestré dans les produits en bois. La durée de vie de ces éléments utilisés dans les bâtiments étant relativement longue – de 50 à 100 ans selon les structures –, cette séquestration temporaire constitue un élément intéressant dans le développement du « puits carbone ».

S’ajoute à cela l’effet de substitution des produits en bois : leur production suscite moins d’émissions de gaz à effet de serre que leurs substituts issus d’autres matériaux ; leur usage a donc un effet positif dans la réduction des émissions. Et si le bois en fin de vie est réutilisé ou valorisé à des fins énergétiques, il peut encore contribuer à réduire les émissions du secteur.

La stratégie nationale bas carbone, feuille de route dans la poursuite de l’objectif de neutralité carbone, ne s’y trompe pas et fixe des objectifs élevés pour un usage accru de ce matériau : augmentation de la commercialisation du bois de quasiment un tiers d’ici à 2050 ; massification du recours au bois pour les produits de construction ; développement de l’éco-conception des bâtiments réalisés avec ce matériau.

Reste qu’il est essentiel d’évaluer l’impact d’un recours plus fréquent au bois pour la construction.

Les vertus du bois

L’usage du bois agit, on vient de le voir, à deux niveaux : la substitution (on évite des émissions) et la séquestration (le carbone est stocké).

L’intérêt du carbone stocké réside dans l’intégration de la temporalité des émissions, car il permet de lisser les émissions dans le temps. Une exploitation de bois pour un usage de long terme, comme dans la construction, permet de retarder l’émission de CO2 qui sera produite à la fin de vie du produit, lors de l’incinération ou de la décomposition du matériau.

Ce décalage entraîne une augmentation des puits de carbone forestiers, du fait de la croissance de nouveaux arbres en remplacement, mais également d’une diminution de l’impact de réchauffement climatique cumulé, calculé pour mesurer l’effet des émissions de gaz à effet de serre en kgCO2-équivalent (kgCO2e). Car l’impact cumulé tient compte de l’effet annuel d’une émission jusqu’à un horizon temporel, défini à 100 ans par le GIEC. Le décalage des émissions jouant donc directement sur le cumul d’impact.

L’approche statique conventionnelle suppose un bilan neutre du carbone vivant sur l’ensemble du cycle de vie : ce qui a été séquestré pendant la croissance de l’arbre sera réémis au moment de la fin de vie. Une approche dynamique permet au contraire de rendre compte de l’effet du stockage temporaire, en intégrant le décalage temporel entre les émissions. L’approche statique considère donc cette réémission à terme sans tenir compte des effets positifs du retardement, tandis que l’approche dynamique en tient compte.

Cette approche dynamique est employée lorsque l’on compare deux structures – en bois et en béton – à l’échelle d’un bâtiment. Le bilan est ici sans appel : à niveau d’isolation équivalente, la structure en bois permet de gagner de 300 à 500 kgCO2e/m2.

L’étude d’un usage accru de bois pour les constructions neuves du parc de logement français montre également l’intérêt du stockage permis par ce matériau : dans le cas où la part de bois de construction est triplée d’ici à 2050, et d’une croissance du parc de logement de 1% par an, on obtient une réduction de l’impact carbone d’au moins 11%.

La filière bois française

Grâce à ces multiples avantages, la construction en bois gagne en popularité et se diversifie. On trouve aujourd’hui de nombreux exemples d’immeubles construits dans ce matériau. Des labels et des loisintègrent d’autre part la prise en compte de l’empreinte carbone dans les bâtiments et valorisent même le stockage. Mais la massification de son usage reste encore lointaine.

Comprendre les enjeux économiques et environnementaux qui entourent cet usage nécessite de bien connaître les caractéristiques de la filière forêt-bois française. Pour permettre une intensification du recours au bois, il est en effet nécessaire que les ressources forestières fournissent la matière première en quantité suffisante et dans de bonnes conditions de durabilité. C’est le cas pour la France.

Chaque année, seulement 54 % de l’accroissement annuel de bois est exploité, ce qui implique que la ressource forestière ne cesse de croître. Cela signifie aussi une augmentation du puits de carbone forestier à court terme. Toutefois, la pérennité de ce puits n’est pas forcément assurée, notamment du fait des risques climatiques.

On estime aujourd’hui de 10 %à 30 % la perte du stock forestier à l’horizon 2050, selon les chocs et les climats envisagés.

Des ressources pas toutes exploitables

Il faut en outre distinguer disponibilité brute, c’est-à-dire la différence entre l’accroissement naturel et les prélèvements, et disponibilité effective. Cette restriction dépend à la fois des coûts d’exploitation et de facteurs comportementaux des gestionnaires et propriétaires forestiers.

La faiblesse de cette mobilisation du bois national provient des coûts d’exploitation importants pour certaines forêts (en montagne, par exemple) et d’un fort morcellement de la propriété forestière en France. La forêt est privée aux trois quarts et 80 % de sa surface concernent de petites exploitations de moins de 25 hectares, sans compter les zones de protection où l’exploitation des forêts est restreint.

Le secteur forêt-bois français connaît par ailleurs un fort déficit commercial qui cache certaines disparités : si la France exporte son bois brut, elle importe le bois transformé. Une grosse partie de ce déficit provient du secteur de la construction, du fait d’insuffisances de l’offre et d’une compétitivité très forte à l’international sur certains produits. Un usage accru de bois national dans le secteur du bâtiment aurait donc l’avantage de réduire cette balance commerciale déficitaire.

Au déficit commercial de la filière forêt-bois s’ajoute un manque d’articulation et de concordance entre les acteurs forestiers. La filière n’est aujourd’hui pas adaptée à un usage prolongé du matériau. Des concurrences internes limitent son développement, notamment celle entre le bois de construction et le bois-énergie. Ces deux types de produits ont pourtant un fort potentiel de complémentarité dans la mesure où ils ne requièrent pas le même type de bois.

Une mauvaise réputation

 Si l’intérêt du bois de construction est confirmé par nombre d’études scientifiques, les performances fluctuent selon les méthodologies employées – les méthodes de comptabilité du carbone issu de la biomasse via une approche dynamique étant, on l’a vu, encore peu développées. Un flou dont souffre aujourd’hui la filière.

Ce matériau fait en outre l’objet de nombreuses idées reçues : risque d’incendie, termites, humidité, fragilité… Le bois commercialisé est pourtant soumis à des normes strictes et détient, naturellement ou suite à des traitements, un bon comportement au feu et des protections contre les insectes.

Capable de se gonfler d’eau, le bois est également un régulateur naturel du taux d’hygrométrie, ce qui n’est pas le cas du béton. Certains bois, comme le lamellé croisé ou le CLT confèrent d’autre part aux constructions une résistance étonnante dans les zones à risque sismique.

Des pistes pour changer la donne

Pour lever ces freins dans le secteur du bâtiment, on peut envisager plusieurs pistes. On dira globalement que des politiques d’incitation par le prix pourraient contribuer à favoriser l’avantage carbone de l’usage du bois en substitut à d’autres matériaux.

L’incorporation d’une taxe carbone généralisée sur l’ensemble de l’économie y contribuerait : le matériau bois est moins intense en carbone que d’autres matériaux, son prix serait donc moins impacté par une taxe carbone. Le secteur du bâtiment étant caractérisé par le long terme, il est toutefois nécessaire que les évolutions futures d’une telle taxe soient connues de manière prévisible et crédible par l’ensemble des acteurs.

Au-delà d’une politique climatique globale, un certain nombre de leviers sectoriels peuvent également être envisagés. Le choix du matériau de construction se fait à l’échelle locale, selon des choix techniques (caractéristiques de l’essence, climat local, normes), économiques et culturels (usage constructif, existence d’un matériau traditionnel, règles d’urbanisme).

Différentes trajectoires de dynamisation de la filière peuvent être dégagées. Pour y parvenir, des subventions directes à la consommation ou des aides à la transformation stimulant l’offre sont envisageables. Dans un second temps, une restructuration de l’appareil productif est indispensable pour mieux orienter les productions vers des produits plus avantageux en matière de stockage de carbone et d’effet de substitution.

Enfin, pour agir sur le bois de construction à court terme, d’autres mesures doivent être soutenues : disposer de données économiques fiables et précises, instaurer davantage de normes et de réglementations favorisant ce type de construction et diversifier les essences d’arbres, notamment les feuillus, essences sous-exploités aujourd’hui.

Philippe Delacote Chargé de recherche en économie, Inrae

Florine Ollivier Henry Chargée de recherche, chaire «Économie du climat», Université Paris Dauphine – PSL

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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