Pendant des décennies, le gaz naturel a été le parent pauvre du pétrole. Il n’a pas comme l’or noir permis l’ascension de fortunes et de dynasties, comme celles des Rockfeller ou de la famille royale saoudienne. Il n’a pas contribué à la victoire des alliés lors de la seconde guerre mondiale. Il n’a pas été à l’origine de bouleversements géopolitiques majeurs, notamment après les chocs pétroliers des années 1970. Mais le gaz est en train de changer de statut et de prendre une importance grandissante économique comme politique.
Dans son livre, The New Geopolitics of Natural Gas, publié en 2017, l’universitaire Agnia Grigas explique que le point de départ de ce changement est technologique. L’extraction et le transport de ce combustible se sont nettement améliorés et en conséquence les marchés du gaz se sont étendus et mondialisés. L’évolution des technologies a conduit à une expansion rapide du commerce mondial du gaz naturel liquéfié (GNL). Fin 2015, 17 pays exportaient du GNL tandis que 33 autres en importaient, reliant des marchés régionaux autrefois isolés. Ensuite, la révolution du gaz de schiste a contribué à transformer le rôle des Etats-Unis sur les marchés mondiaux de l’énergie. Jusqu’alors importateur, les États-Unis sont devenus exportateur. Enfin, le développement des infrastructures de pipelines en Amérique du Nord, en Europe et en Asie a permis aux marchés régionaux d’être mieux interconnectés.
Dans un article récent, le World Economic Forum met aussi l’accent sur les projets, notamment en Asie, consistant à utiliser des gisements de gaz pour fabriquer de l’hydrogène tout en capturant et séquestrant le CO2 émis lors de cette production. La Chine et le Japon, notamment, ont des projets importants de création de filières et d’économies de l’hydrogène.
Il existe un dernier facteur, paradoxalement très favorable au gaz naturel, le développement des énergies renouvelables, notamment l’éolien et le solaire, pour produire de l’électricité. Etant par nature intermittentes, ces renouvelables nécessitent des moyens de production complémentaires mobilisables en permanence. Le gaz est aujourd’hui le plus adapté, techniquement comme économiquement. Il existe bien d’autres possibilités que le gaz naturel pour consolider les réseaux électriques, le nucléaire et l’hydroélectrique notamment. Mais ils ont des limites importantes. Physiques d’abord, puisque les emplacements où peuvent être construits des barrages hydroélectriques sont limités. Par ailleurs, la construction de nouvelles centrales nucléaires nécessite des investissements coûteux, la maitrise de technologies lourdes, des programmations sur de longues années et fait enfin l’objet, dans les pays occidentaux, d’un rejet d’une bonne partie de l’opinion après les catastrophes et les accidents de Three Mile Island aux Etats-Unis en 1979, de Tchernobyl en 1986 dans l’ex-URSS et de Fukushima en 2011 au Japon.
Un substitut au charbon pour consolider les réseaux électriques
En conséquence, si une énergie fossile devrait voir sa production et sa consommation augmenter régulièrement d’ici 2050, quel que soit le scénario de la transition énergétique, c’est le gaz naturel. La croissance de cette source d’énergie est même aujourd’hui supérieure dans le monde à celle des renouvelables (éolien et solaire). Le Docteur James Conca, spécialiste de l’environnement et de la transition énergétique, explique pourquoi dans Energy Post en partant de l’exemple des Etats-Unis.
D’abord, si le gaz naturel est une énergie fossile et émet du CO2, il est considéré comme un substitut représentant un moindre mal par rapport au charbon. Le gaz naturel émet 10 fois plus de CO2 pour la production de la même quantité d’électricité que le solaire, 30 fois plus que l’éolien et le nucléaire, mais deux fois moins que le charbon. C’est pour cela que les pays produisant encore aujourd’hui une part importante de leur électricité avec des centrales au charbon, aussi bien la Chine, les Etats-Unis, l’Inde que l’Allemagne ou la Pologne, envisagent de se doter de nouvelles centrales au gaz ou de modifier celles existantes au charbon pour qu’elles puissent brûler du gaz naturel. Ce n’est pas pour rien si dans certains pays, comme les Etats-Unis, l’industrie gazière est devenue ainsi la première à soutenir les renouvelables.
En prenant comme exemple justement le cas des Etats-Unis, Energy Post montre que le mouvement de bascule vers le gaz est déjà fortement engagé notamment à la suite de la production massive de gaz de schiste. Au cours des quinze dernières années, le charbon est revenu de 40% de la production d’électricité à 27% et dans le même temps, le gaz naturel est passé de 17% à 35%. En conséquence, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué aux Etats-Unis dans le même temps.
L’autre avantage considérable du gaz est qu’il est très économique. «Non seulement, les infrastructures sont les moins coûteuses de toutes celles permettant de produire de l’électricité, mais le gaz lui même sera bon marché pendant des décennies. Donc il est très probable que le gaz sera la principale source d’électricité aux Etats-Unis et dépasse les 50% de la production… Mais cela va clairement dans la mauvaise direction si l’on souhaite une transition rapide et massive vers des énergies vertes…», écrit James Conca.