Comment concilier les intérêts contradictoires des industriels français, qui ont besoin pour tenter d’être compétitifs, compte tenu du coût du travail et de la pression fiscale particulièrement élevés en France, d’une énergie la moins chère possible et d’EDF qui, surendetté, doit vendre son électricité le plus cher possible pour financer l’entretien et la prolongation de vie de son parc de réacteurs nucléaires et la construction de nouveaux réacteurs. Et tout cela avec un Etat, qui a certes renationalisé à 100% EDF, mais est financièrement exsangue.
Entre le maintien de ce qu’il reste d’industrie en France, voire les promesses souvent illusoires de réindustrialisation, et donner à EDF les moyens de ses ambitions, faut-il choisir ? D’autant plus que la relance du nucléaire en France fait partie des moyens de redonner un peu d’allant à l’industrie.
« Trahis » par EDF… et le gouvernement
En tout cas, les industriels gros consommateurs d’énergie ont le sentiment d’être trahis par EDF, c’est-à-dire en fait par l’Etat. Car le financement de la relance du nucléaire en France est un casse-tête budgétaire et financier pour un pays surendetté, incapable d’équilibrer son budget depuis plus d’un demi-siècle et qui doit aujourd’hui engager des dépenses supplémentaires pour reconstruire une capacité de défense.
Dans ce contexte, les industriels ont dénoncé à la fin de la semaine dernière la stratégie de l’énergéticien public, accusé de lâcher l’industrie française pour lui préférer « le profit à court terme » et qui mettrait ainsi en danger la compétitivité des usines en refusant d’abaisser ses tarifs.
Des fonderies d’aluminium à la chimie en passant par la fabrication de papier-carton, de verre, ou l’agroalimentaire, les industriels dits « électro-intensifs » se disent étranglés par les factures d’énergie et menacés dans leur « survie » en France. Ils reprochent à EDF l’annonce le 6 mars d’une stratégie commerciale nouvelle à l’échelle européenne qui va consister à proposer des contrats d’achat d’électricité nucléaire à long terme à travers un système d’enchères dans toute l’Europe aux grandes entreprises et aux fournisseurs d’électricité.
EDF va chercher hors de France les moyens de financer ses investissements
EDF va ainsi chercher hors de France les moyens de rentabiliser sa production massive d’électricité nucléaire. Mais du coup, les entreprises françaises vont y perdre l’un des rares atouts qu’il leur reste face à la concurrence.
« Ce faisant, EDF tournerait délibérément le dos à l’industrie française » avec laquelle l’entreprise publique négocie depuis plus d’un an, affirme l’Uniden, l’association qui regroupe les entreprises représentant plus de 70% de la consommation d’énergie industrielle en France.
« Deux semaines après avoir présenté un résultat net de 11,4 milliards d’euros … le plaçant à un niveau record de rentabilité par rapport à l’industrie », EDF « privilégie… la maximisation de son profit à court terme », accuse l’association. « Les seuls bénéficiaires de cet appel d’offres seront, outre les fournisseurs alternatifs, les consommateurs qui peuvent refacturer le coût de l’électricité à leurs clients… Des industries stratégiques comme l’acier, l’aluminium ou la chimie, gages de la souveraineté industrielle de la France… ne pourront pas suivre les enchères », déclare l’Uniden.
Une négociation qui mène nulle part
Depuis novembre 2023, les industriels sont bien engagés dans une négociation commerciale qui patine avec EDF pour la signature de contrats de long terme dits d’allocation de production nucléaire (CAPN) qui remplaceraient les tarifs régulés d’électricité à prix cassé dont ils bénéficient jusqu’à fin 2025, date de la fin du système délirant de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Rappelons au passage que l’Arenh, fruit de l’imagination fertile des technocrates de Bercy, a créé une concurrence totalement artificielle sur la distribution de l’électricité en France dont le consommateur n’a jamais vraiment bénéficié et au seul détriment d’EDF. Depuis 2011, EDF était contraint de vendre une partie de son électricité nucléaire (100 TWh/an environ un tiers de la production) au prix cassé de 42 euros le MWh à ses concurrents fournisseurs alternatifs, qui devaient, en théorie, le répercuter sur les factures des consommateurs
Pour en revenir aux négociations directes entre EDF et les industriels, elles ne mènent nulle part. « EDF n’a signé à ce stade qu’un seul contrat » pour un volume « très faible », représentant moins de 1% de l’objectif de 40 TWh fixé par l’Etat, regrette le ministère de l’Energie à Bercy. Comme s’il n’avait pas la tutelle sur EDF… De qui se moque-t-on ?