<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La révolution SMR est en marche

3 février 2025

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La révolution SMR est en marche

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En dépit des échecs, des renoncements, des effets d’annonce, des audits très critiques, la technologie des petits réacteurs nucléaires modulables (SMR) progresse. Les 90 projets en cours dans le monde ne verront pas le jour, mais les SMR correspondent à de réels besoins dans les domaines de la technologie, de l’industrie ou pour la production d’hydrogène et de carburants synthétiques. Google en a commandé sept et Amazon, Microsoft et Meta lui emboîtent le pas. Et puis il existe déjà en fait des dizaines de SMR en service dans le monde… Ce sont les réacteurs qui équipent des sous-marins et des porte-avions à propulsion nucléaire en France, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Chine, en Inde et en Russie.

Cela fait déjà plusieurs années que les petits réacteurs nucléaires modulables (SMR) sont à la mode. Les annonces de projets, de développements, de lancement de start-ups se sont succédées et multipliées, aux Etats-Unis, en Asie et en Europe. Au point d’ailleurs de faire naître des doutes. Car dans de nombreux domaines de la transition énergétique, la communication à l’intention des investisseurs et des gouvernements a pris le pas sur la faisabilité technologique et économique.

Les doutes ont grandi d’autant plus que certains projets, souvent les plus médiatisés, ont rapidement montré leurs limites. L’abandon inattendu à la fin de 2023 du projet très avancé de la société américaine NuScale dans l’Idaho a jeté un froid. Même EDF a annoncé l’an dernier être contraint de totalement revoir, techniquement et économiquement, son projet Nuward (pour Nuclear forward). EDF s’était pourtant associée avec ce que la France fait de mieux dans le domaine : Technicatome (qui fabrique les chaudières nucléaires des navires de la marine nationale), Naval Group, Framatome et le CEA (Commissariat à l’énergie atomique). Il s’agissait de rattraper le retard et de proposer rapidement un SMR de moyenne puissance pouvant répondre à des besoins spécifiques. Il prenait la forme d’un binôme de deux petits réacteurs fournissant chacun 170 MW électriques. Le choix avait aussi été fait de passer à la sûreté dite « passive », c’est à dire l’arrêt et le refroidissement du réacteur en cas d’incident sans nécessiter d’intervention humaine ni d’alimentation électrique. Mais aujourd’hui, on ne sait pas vraiment ce que va devenir Nuward.

Des échecs, des doutes et… des progrès

Tout aussi inquiétant, un audit réalisé l’an dernier par le Haut-Commissaire à l’énergie atomique, dont l’existence a été révélée par Le Point, soulignait que sur la douzaine de start-up françaises nucléaires ayant l’ambition de développer un SMR très peu avaient une chance de réussir.

Pour autant, la technologie SMR progresse aussi rapidement. Plusieurs modèles en cours de développement devraient voir le jour dans les prochaines années, notamment aux États-Unis. Dans un pays où l’innovation est facilement financée et où les SMR répondent parfaitement aux besoins croissants d’électricité décarbonée. Que ce soit pour les data centers des géants de la technologie, les petites agglomérations qui veulent se passer des centrales au charbon et à gaz, les systèmes de chauffage urbain et les besoins spécifiques de production de carburants synthétiques et d’hydrogène voire d’acier et de ciment.

Les grands groupes technologiques américains comptent sur les SMR pour alimenter une partie de leur data centers d’ici les années 2030 dont les besoins en énergie sont exponentiels avec le déploiement de l’intelligence artificielle. Google a commandé sept SMR, et Amazon, Microsoft et Meta lui emboîtent le pas.

Il y a des dizaines de SMR en service dans le monde

S’il existe plus de 90 modèles différents de projets SMR dans le monde, dont beaucoup sont soutenus par des gouvernements, tous ne verront pas le jour. Mais une dizaine de prototypes devraient finir par être construits et testés. Les réalités techniques, économiques et financières feront le tri.

Les marchés de l’Asie-Pacifique et des Amériques seront probablement les principaux moteurs de cette croissance. Une étude, rendue publique l’an dernier par le cabinet-conseil EY-Parthenon (ex-Ernst & Young), prévoit la construction d’ici 2050 de 400 à 700 SMR.

Il faut toujours prendre ce genre de projections avec beaucoup de précautions. Mais il existe déjà en fait des dizaines de SMR en service dans le monde… Ce sont les réacteurs qui équipent des sous-marins et des porte-avions à propulsion nucléaire en France, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Chine, en Inde et en Russie. On trouve aussi, uniquement en Russie, quelques brise-glace à propulsion nucléaire et même une barge qui transporte un SMR pour fournir de l’électricité dans des ports du cercle polaire arctique. La Chine a aussi un modèle considéré comme opérationnel de SMR.

Des atouts considérables… sur le papier

Les avantages théoriques des SMR sont importants. Ils sont plus petits que les réacteurs traditionnels, avec une puissance allant jusqu’à 300MW, et comme leur nom l’indique, ils ont modulaires, ce qui facilite leur assemblage en usine et leur transport sur le site. Non seulement, ils peuvent être installés sur des sites qui ne conviennent pas aux réacteurs conventionnels mais peuvent être additionnés progressivement pour répondre à la demande croissante d’énergie d’un site. Ils sont également, en théorie, moins chers et plus rapides à construire que les réacteurs nucléaires traditionnels. Ce sera le cas s’ils sont un jour construits en série.

Car le réacteur et tous ses composants clés sont construits en usine. Ils sont ensuite assemblés à partir de pièces transportées par camion. Un chantier de 8 à 15 ans sur un réacteur de grande taille peut en théorie être mené en 2 ans avec une SMR. Cela doit permettre de réduire fortement les prix du KWh produit. Et ils ont des composants de même qualité que les grandes centrales, les réacteurs, les turbines, etc. mais simplement plus petits.

Ils peuvent enfin pour un certain nombre de projets améliorer sensiblement les questions de sûreté en faisant appel à des technologies dites passives qui permettent en cas d’incident au réacteur de cesser naturellement de fonctionner.

Aux Etats-Unis, en Russie, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en France…

Après l’échec de Nuscale, le projet le plus avancé aujourd’hui aux Etats-Unis est de celui de GE (General Electric)-Hitachi à Darlington dans l’Ontario (Canada) avec une mise en service de réacteurs BWRX-300 prévus pour 2029 (voir l’illustration ci-dessus). Sa technologie est « conventionnelle ». Il est refroidi par un système d’eau pressurisée comme les deux modèles de SMR développés par le russe Rosatom et issus des technologies militaires, le RITM-200 et le KLT40S.

« Sous réserve du feu vert des régulateurs, la construction [du BWRX-300] démarrera en 2025 », affirme l’opérateur Ontario Power Generation. La Tennessee Valley Authority, agence fédérale qui alimente en électricité plusieurs régions du sud des Etats-Unis, a également décidé d’investir dans le développement du BWRX-300.

Terrapower, une société financée par Bill Gates, a aussi un projet avancé même si les sanctions imposées à la Russie après l’invasion de l’Ukraine l’ont retardé. Jusqu’à très récemment, la Russie était le seul pays à produire l’HALEU, l’uranium hautement enrichinécessaire pour alimenter son réacteur. Mais les États-Unis ont lancé la construction en novembre dernier d’une première usine produisant de l’HALEU.

Terrapower a lancé son premier projet dans le Wyoming en août 2024 et devrait obtenir l’approbation de la Commission de réglementation nucléaire à la fin de l’année 2026. Son réacteur nucléaire est refroidit au sodium et non à l’eau sous pression ce qui le rend plus sûr.

Refroidissement au sel fondu

Au Royaume-Uni, l’ancien conseiller à la sécurité nationale, Stephen Lovegrove, a été nommé en décembre 2024 président du conseil d’administration du consortium dirigé par Rolls-Royce qui développe des SMR. Selon lui, Rolls-Royce a 18 mois d’avance sur ses concurrents.

Great British Nuclear a lancé un appel d’offres pour l’attribution de contrats publics de développement de SMR. Rolls-Royce SMR, l’entreprise américaine Holtec, GE Hitachi et l’entreprise canadienne Westinghouse sont sur les rangs. Le gagnant se verra attribuer des milliards de livres sterling d’investissements publics et privés pour développer sa technologie.

Aux Pays-Bas, la start-up Thorizon a annoncé la création d’un nouveau consortium pour développer un réacteur à sels fondus. Elle s’est associée aux entreprises néerlandaises Demcon et VDL Group pour construire un réacteur à sels fondus de 100 MW, Thorizon One. Elle, espère le faire fonctionner dans une installation pilote d’ici le milieu des années 2030. Il devrait être alimenté par un mélange de déchets radioactifs à longue durée de vie provenant d’installations nucléaires existantes et de thorium. Le projet a reçu le soutien du gouvernement français dans le cadre de son programme d’innovation France 2030 et a été sélectionné comme projet clé par la Commission européenne.

Démontrer la viabilité des concepts

En France, heureusement il n’y a pas que EDF. Jimmy Energy a annoncé la construction d’une usine au Creusot et développe des prototypes utilisant une technologie nucléaire dite à haute température visant non pas à produire de l’électricité, mais de la chaleur industrielle. Ces micro-réacteurs d’une puissance de 10 MW ou 20 MW ont l’avantage de nécessiter des investissements relativement limités et de pouvoir s’implanter directement sur les sites industriels.

Il y a des projets français de SMR plus ambitieux avec des réacteurs de quatrième génération dits à neutrons rapides et à refroidissements par sels fondus. Le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) a incubé deux start-up, Hexana et Stellaria, développant chacune un réacteur explorant ces technologies. Une autre jeune entreprise, Naarea, développe un SMR de forte puissance de 300 MW avec une technologie extrêmement ambitieuse de quatrième génération à neutrons rapides refroidit au sel fondu. Il lui faudra de nombreuses années pour la développer à tel point que le Haut-Commissaire à l’énergie atomique a beaucoup de doutes sur la possibilité d’y parvenir. Mais cela n’a pas empêché Naarea de conclure un accord avec l’industriel Phoenix Manufacture pour construire les pièces de son prototype. On peut aussi citer, par exemple, Newcleo qui axe son développement sur la production d’hydrogène au sortir du réacteur.

La plupart de ses concepts doivent encore démontrer leur viabilité technique et économique. Il y aura peu d’élus. Par ailleurs, le cadre réglementaire n’est pas du tout adapté aux petits réacteurs tout comme les moyens de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN). Une autre problématique encore plus lourde sera évidemment celle de l’acceptabilité sociale. Mais il faut en même temps saluer l’esprit d’entreprise et d’initiative et une fois que les projets les plus crédibles auront émergé leur donner les moyens de réussir.

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