Cela va faire bientôt trois ans qu’Emmanuel Macron a annoncé la relance du nucléaire, qu’il avait combattu jusque-là, il est plus que temps qu’elle se concrétise. Cela fait presque déjà trois ans de perdus… Ce que souligne la Cour des comptes dans un rapport de près de 100 pages rendu public mardi 14 janvier. Elle demande à l’Etat et à EDF de lever les nombreuses « incertitudes » sur le programme de construction de 6 et éventuellement 14 nouveaux réacteurs nucléaires EPR2.
Tout est encore flou : l’ampleur du programme, son calendrier, les coûts réels, une partie non négligeable des spécificités techniques définitives des EPR2 et le financement d’investissements très lourds pour un Etat et une entreprise publique surendettés. Le coût de la construction de la première tranche de six EPR2 (il pourrait y en avoir huit de plus) a été estimé en début d’année dernière à 67,5 milliards d’euros. Il était de 51,7 milliards d’euros il y a trois ans… Et la facture finale pourrait atteindre 100 milliards d’euros. EDF en quasi-faillite a été renationalisée à 100% en 2023 par l’Etat.
Le risque d’un « échec »
La juridiction financière s’inquiète de « l’accumulation de risques et de contraintes qui pourraient conduire à un échec du programme d’EPR2 » rappelant que l’EPR de Flamanville en Normandie a été connecté au réseau électrique 12 ans après la date prévue…
« Les incertitudes les plus préoccupantes portent sur les retards d’avancement de la conception de l’EPR2, l’inconnue sur le coût des trois premières paires (de réacteurs) et l’absence de financement du programme », a souligné le premier président de la Cour des Comptes, Pierre Moscovici. « La décision du conseil d’administration d’EDF de réduire l’enveloppe financière dédiée aux travaux préparatoires des futurs EPR2 en 2025, acte manifestement ces incertitudes financières », a-t-il ajouté.
Il faut dire que les « dérives », le mot est faible, des coûts et des calendriers des chantiers des EPR de Flamanville, d’Olkiluoto en Finlande et de Hinkley Point au Royaume-Uni sont ahurissantes. Selon les magistrats financiers, le coût final de Flamanville est de 23,7 milliards d’euros de 2023, financements compris. Il était évalué à l’origine à 3,3 milliards… Ils évoquent des risques « persistants » et font part de leurs doutes sur la capacité de la filière nucléaire française à être au rendez-vous. Elle « est loin d’être prête » pour la Cour.
L’inefficacité de l’appareil d’Etat
Cela est pourtant indispensable si le pays ne veut pas se retrouver dans une à deux décennies avec la nécessité de fermer des réacteurs trop âgés et trop difficiles à entretenir et sans solution pour les remplacer autres que des centrales à gaz et des renouvelables malheureusement intermittents.
Une illustration supplémentaire de la difficulté de l’appareil d’Etat et des entreprises publiques à prendre des décisions et surtout à les mettre en œuvre. L’ambition annoncée d’avoir un premier EPR2 en fonctionnement en 2035 est d’ores et déjà irréalisable tant les retards se sont accumulés. Le prochain conseil de politique nucléaire, prévu avant la fin de l’année, qui doit se pencher notamment sur le financement des nouveaux réacteurs, devrait être repoussé. EDF a pris du retard sur les devis « améliorés » des six réacteurs… L’entreprise doit prendre en théorie une décision finale d’investissement dans un an, au début del’année 2026. Pas sûr que ce calendrier-là soit aussi tenu, surtout que la Cour des comptes considère que ce serait précipité. Et cela même si les premiers coups de pioche ont été symboliquement donnés à l’été dernier sur le site du premier EPR2 qui sera construit au sein de la centrale de Penly.
Trop d’incertitudes pour s’engager dans les prochains mois
Les magistrats financiers demandent en fait à EDF et à l’Etat de ne pas s’engager pour le moment compte tenu des incertitudes de tous ordres et des risques financiers et techniques.
« La rentabilité prévisionnelle du programme EPR2 reste à ce stade inconnue, d’autant que les conditions de financement (…) ne sont toujours pas arrêtées », ajoutent les magistrats financiers. Ils relèvent en outre qu’EDF refuse toujours de leur transmettre des informations « sur la rentabilité et le coût de production prévisionnels » de Flamanville comme des EPR2, comme demandé en 2020. Or, la Cour prévoit « une rentabilité médiocre pour Flamanville 3 » (l’EPR).
Luc Rémont, le PDG d’EDF, partage certaines préoccupations de la Cour
En conséquence, la Cour demande de « retenir la décision finale d’investissement du programme EPR2 », envisagée pour début 2026 par EDF, « jusqu’à la sécurisation de son financement et l’avancement des études de conception détaillée ». Elle recommande également de « limiter l’exposition financière d’EDF » dans ses projets d’EPR à l’étranger et de « s’assurer » que tout nouveau projet international nucléaire « ne ralentisse » pas les calendriers en France. La Cour préconise ainsi de ne pas approuver la décision finale d’investissement dans le nouveau projet britannique de Sizewell (deux EPR) avant d’avoir réduit l’exposition financière majeure d’EDF sur le chantier en cours de deux EPR à Hinkley Point. Il faut dire que selon le Financial Times le coût du chantier de Sizewell pourrait doubler à près de 40 milliards de livres (47,5 milliards d’euros) au lieu des 20 milliards de livres annoncés en 2020.
Des recommandations à l’international que le PDG d’EDF, Luc Rémont, conteste dans sa réponse transmise à la Cour. Pour lui, l’investissement international est « pertinent » et revêt « une dimension industrielle autant que stratégique ». En revanche, il dit partager « entièrement » les avis de la Cour sur le programme français des six EPR2. Avant un accord de son entreprise avec l’Etat et Bruxelles sur le cadre financier du programme EPR2, il estime « nécessaire qu’EDF conclut avec l’État un contrat préliminaire qui fixe le cadre des investissements à financer au titre de ce programme ».