Niels Troost, magnat du pétrole déchu, se retrouve aujourd’hui au centre d’un scandale hors du commun mêlant sanctions internationales, manipulation et effondrement financier. Ce négociant expérimenté basé à Genève avait bâti un empire commercial prospère grâce à Paramount Energy & Commodities SA. Mais il s’est effondré après avoir été accusé de contourner les sanctions contre le pétrole russe. Transitions & Energies avait déjà enquêté au début de l’année sur cette affaire hors du commun. Et dans une série d’articles récents publiés dans le Financial Times, dont le dernier le 14 décembre sous la plume de Tom Wilson, les coulisses de cette affaire complexe révèlent une histoire de confiance mal placée, de manipulations frauduleuses et de pressions géopolitiques.
Niels Troost, néerlandais de 52 ans, avait réussi à faire de Paramount Energy & Commodities SA un acteur important du commerce mondial des matières premières. Avec près de 30 ans d’expérience dans le secteur, il s’était spécialisé dans le commerce du pétrole brut russe, plus précisément du Espo blend, un pétrole extrait en Sibérie orientale et transporté via l’oléoduc Eastern Siberia-Pacific Ocean. Niels Troost avait bâti une entreprise influente, tirant parti de relations personnelles avec des producteurs russes et chinois. Mais tout a basculé avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022.
Niels Troost rencontre le mystérieux « G » qui se vante de liens étroits avec la CIA
La guerre a eu des répercussions immédiates sur les marchés mondiaux, entraînant une cascade de sanctions internationales contre la Russie. Tandis que des géants du secteur comme Trafigura choisissaient de se retirer du marché russe, Troost a hésité à suivre le même chemin. Mal lui en a pris. Soumis à des pressions croissantes, il a alors décidé de maintenir ses engagements contractuels envers ses partenaires chinois et russes, arguant que ceux-ci n’étaient pas encore soumis à des sanctions.
Même si cette décision était légale au regard du droit international en vigueur alors, elle a attiré rapidement l’attention des régulateurs et des médias, notamment celle de Tom Wilson, qui le 3 juillet 2023 dans le Financial Times écrit que les autorités suisses avaient ouvert une enquête sur Paramount soupçonner de contourner les sanctions. L’enquête porte principalement sur les transactions réalisées par la filiale de Paramount à Dubaï, qui continuait à échanger du pétrole russe en violation des plafonds de prix imposés par les pays du G7.
Dans ce contexte, Niels Troost rencontra Gaurav Kumar Srivastava, alias « G », un homme d’affaires américain se présentant comme ayant des liens étroits avec les services de renseignement des États-Unis. C’est là que cette affaire prend une toute autre dimension digne d’un thriller économique.
Mise en place de « l’arnaque »
G propose une solution audacieuse à Niels Troost. Il prétend pouvoir offrir à Paramount une « protection » gouvernementale américaine ainsi qu’une licence officielle du Trésor américain permettant de continuer à commercer légalement avec la Russie. Convaincu de la crédibilité de G, notamment par ses connexions supposées avec des figures politiques influentes de l’administration américain, Niels Troost accepte naïvement en juillet de céder 50% des parts de Paramount à G pour la somme symbolique de 57.000 dollars. Il pense alors que cette association garantit l’avenir de son entreprise.
Mais les choses ne sont pas si simples et des éléments troublants commencent à apparaître. Paramount approuve un prêt de 51 millions de dollars à une entreprise indonésienne liée à la famille d’un ministre du gouvernement indonésien que G affirme soutenir. Peu après, G achète un manoir en Californie pour 24,5 millions de dollars, ce qui suscite des interrogations sur l’origine des fonds utilisés pour cette acquisition. Dans un nouvel article du Financial Times publié le 20 mars 2024, Tom Wilson révèle que Niels Troost a engagé un lobbyiste américain, Ankit Desai, pour 100.000 dollars par mois, afin de prévenir d’éventuelles sanctions des États-Unis contre Paramount. Cette décision, étonnante, reflète la pression croissante exercée sur Neils Troost et son entreprise dans un environnement géopolitique de plus en plus hostile.
Le déni
En 2023, les relations entre Troost et G se dégradent. Les employés de Paramount, notamment une assistante exécutive nommée Susanne, commencent à enquêter sur le passé de G. Ils découvrent que G, contrairement à ce qu’il affirme, n’est même pas citoyen américain, mais un ressortissant indien, sans lien vérifiable avec la CIA. De plus, ses activités passées sont marquées par des procès et des affaires douteuses. En dépit de ces découvertes accablantes, Niels Troost s’enfonce dans le déni, persuadé que G ne peut pas avoir de mauvaises intentions. G en plus nie les accusations, affirmant que tout cela fait partie d’une couverture orchestrée par la CIA.
Mais la situation devient critique quand l’agence suisse des sanctions, Seco, ouvre une enquête sur les activités de Paramount. Le 10 mai 2023, Niels Troost met enfin fin à sa collaboration avec G. Mais le mal est fait et Niels Troost se retrouve emporté dans un tourbillon. Deux jours plus tard, il reçoit des menaces d’un numéro de téléphone iranien, tandis que des informations confidentielles concernant Paramount sont divulguées en ligne, accompagnées de publications diffamatoires visant Niels Troost et sa famille. En novembre 2023, le Royaume-Uni impose des sanctions contre Niels Troost et Paramount SA, les accusant de faciliter le commerce de pétrole russe en violant les régulations internationales. Le Financial Times rapporta que ces sanctions se traduisent par un gel des actifs de Niels Troost, la suspension de ses comptes bancaires, et contraignent son fils à quitter une université britannique faute de pouvoir payer les frais de scolarité.
Niels Troost s’est fait dépouiller
Niels Troost clame aujourd’hui avoir été dupé par G, dont les promesses de soutien gouvernemental américain se sont avérées totalement fictives. Il soutient que les activités de Paramount respectaient les lois en vigueur, mais les transactions douteuses, telles que le prêt de 51 millions de dollars et l’achat du manoir, ont renforcé les suspicions des régulateurs. De son côté, G nie toute manipulation et accuse Niels Troost d’avoir inventé cette histoire pour masquer ses propres turpitudes. Mais les enquêtes approfondies menées par le Financial Times montrent que G aurait détourné des fonds pour financer des acquisitions personnelles, notamment l’achat de son manoir en Californie.
L’histoire édifiante de Niels Troost offre une fenêtre rare sur les réalités du commerce international de matières premières et d’énergie stratégiques dans un monde fracturé par les sanctions et les tensions géopolitiques. Autrefois magnat prospère et influent, Niels Troost dont la réputation est brisée est devenue aujourd’hui un exemple et une victime de ses mauvais choix stratégiques et de sa naïveté. Cette affaire est un véritable avertissement pour tous ceux qui évoluent à la fragile intersection entre affaires et politique internationale sans bien mesurer à quoi ils s’exposent.