La crise énergétique née en 2022 de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et de l’effondrement des importations de gaz russe par l’Europe a été un choc pour l’Union Européenne (UE). Elle a soudain réalisé, comment est-ce possible, sa vulnérabilité et sa dépendance aux importations de gaz. Les prix du gaz et de l’électricité se sont envolés à l’hiver 2022, mais la crise d’approvisionnement a été surmontée même si le choc économique et social a été bien réel. Il n’y a pas eu de pénuries, grâce notamment à des importations massives de GNL (Gaz naturel liquéfié), des Etats-Unis et dans une moindre mesure du Qatar… et de la Russie.
Les prix du gaz et de l’électricité ayant fini par revenir à des niveaux acceptables et les réserves de gaz en Europe étant remplies, la Commission s’est autocongratulée et autofélicitée à plusieurs reprises d’avoir surmonté la crise. Encore en septembre dernier par la voix de l’ex-Commissaire européenne à l’énergie alors sur le départ, l’Estonienne Kadri Simson. Présentant son rapport 2024 sur l’état de l’Union de l’énergie, elle s’est félicitée du fait que l’UE a réussi en deux ans à réduire sa dépendance au gaz russe de 45% à 18%, « Nous avons mené une refonte massive de notre politique énergétique ces cinq dernières années », expliquait-elle.
Autosatisfaction de la Commission européenne
On ne peut pas dire que Kadri Simson manque d’aplomb après avoir totalement négligé et même méprisé les questions de souveraineté énergétique pendant des années. Sans parler des conséquences économiques lourdes, une perte de compétitivité et une désindustrialisation accélérées, d’avoir en Europe des prix de l’énergie, notamment du gaz, bien supérieurs à ceux des Etats-Unis et de la Chine.
L’autosatisfaction de la Commission est d’autant plus mal venue que des problèmes d’approvisionnement en gaz pourraient bien se poser à nouveau et rapidement. C’est ce que souligne l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans un rapport publié au début du mois. Elle estime que la consommation mondiale de gaz devrait ainsi connaitre une forte hausse en 2024 qui devient un problème pour la sécurité d’approvisionnement compte tenu du potentiel limité à court terme d’augmentation l’offre de GNL et des tensions géopolitiques.
Déséquilibre entre l’offre et la demande
« La croissance de la demande mondiale de gaz que nous observons cette année et l’année prochaine reflète la reprise progressive après une crise énergétique mondiale qui a durement frappé les marchés », a déclaré Keisuke Sadamori, directeur des marchés de l’énergie et de la sécurité de l’AIE. « Mais l’équilibre entre les tendances de la demande et de l’offre est fragile, avec des risques évidents de volatilité future. Les producteurs et les consommateurs doivent collaborer étroitement pour traverser cette période d’incertitude… ».
Lors des trois premiers trimestres de l’année 2024, la consommation mondiale de gaz a augmenté de 2,8% par rapport à la même période en 2023. Compte tenu du ralentissement de la croissance économique en cours, la demande mondiale de gaz pourrait finalement progresser de 2,5% sur l’ensemble de l’année 2024 et atteindre ainsi un nouveau sommet historique à près de 4.200 milliards de m3. La région Asie-Pacifique devrait compter pour 45% de cette augmentation de la consommation. Et cette tendance devrait se poursuivre. L’AIE estime ainsi que la demande mondiale pourrait encore progresser de près de 2,3% en 2025, toujours tirée par les besoins asiatiques… et européens.
Tenir quelques années
Car la fin annoncée à la fin de l’année de tout transit de gaz russe via le gazoduc traversant l’Ukraine pourrait priver l’Europe « d’environ 15 milliards de m3 par rapport à 2024 », selon l’AIE. Cela se traduira par un recours accru de l’Europe aux importations de GNL en 2025 et donc des tensions supplémentaires sur l’approvisionnement mondial.
Pour développer la production de GNL, il faut construire de nouveaux équipements lourds et coûteux d’extraction et surtout de liquéfaction et de transport (méthaniers et terminaux). Des investissements importants ont été lancés aux Etats-Unis, en Malaisie et surtout au Qatar, mais ils mettront quelques années avant d’être opérationnels. Entretemps, les approvisionnements progressent de façon très limitée explique l’AIE : de « seulement 2% » au cours des trois premiers trimestres de l’année, contre une hausse moyenne de 8% par an entre 2016 et 2020. En outre, les tensions géopolitiques au Moyen-Orient provoquent une grande volatilité des prix et des incertitudes sur les délais de livraison. Les méthaniers ne peuvent plus passer par la mer Rouge et le Canal de Suez compte tenu des attaques des Houthis.
Il va falloir tenir quelques années. Les nouvelles installations de liquéfaction de gaz pourraient apporter « plus de 270 milliards de m3 par an de capacités supplémentaires d’exportation d’ici à la fin de 2030 », estime l’AIE. De quoi « assouplir les fondamentaux du marché et apaiser les inquiétudes concernant la sécurité de l’approvisionnement en gaz dans la seconde moitié de la décennie ».