<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Véhicules électriques : la fin des illusions

2 octobre 2024

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Véhicules électriques : la fin des illusions

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La transition à marche forcée vers la motorisation électrique des véhicules se heurte aujourd’hui à de multiples obstacles : économiques, techniques, industriels, sociaux et politiques. Ils ont été sous-estimés, voire niés pendant des années. Mais ce n’est plus possible aujourd’hui de faire comme s’ils n’existaient pas tout comme il n’est d’ailleurs plus possible de faire marche arrière. Les ventes se tassent, la majorité des automobilistes reste réticente, les constructeurs commencent à paniquer, la question est devenue politique et le rouleau compresseur de la concurrence chinoise semble inarrêtable. Par Éric Leser. Article paru dans le numéro 22 du magazine Transitions & Energies.

À en croire bon nombre d’experts et d’institutions, comme l’Agence internationale de l’énergie, le succès de la voiture électrique était garanti et son ascension irrésistible. Il suffisait de prolonger les courbes de progression des ventes… Il s’est ainsi commercialisé près de 14 millions de voitures neuves 100 % électriques l’an dernier, portant leur nombre total sur les routes dans le monde à 40 millions. Le nombre de véhicules électriques commercialisés en 2023 a augmenté de 35 % par rapport à 2022. Il était plus de six fois supérieur à celui de 2018, cinq ans plus tôt. Les voitures électriques à batterie représentaient 18 % de toutes celles vendues neuves en 2023 contre 14 % en 2022 et 2 % en 2018.

Mais ces chiffres ne disent pas tout. Depuis la fin de l’année dernière et encore plus en 2024, le marché des voitures électriques est arrivé à un plateau et les perspectives sont soudain devenues bien moins favorables. En dépit des investissements considérables privés comme publics, d’une véritable avalanche publicitaire et médiatique, des aides, subventions et autres contraintes et malus imposés aux véhicules thermiques, l’adoption par le cœur du marché, l’automobiliste moyen, reste incertaine. La stagnation de la demande de véhicules électriques est aujourd’hui une réalité un peu partout dans le monde, sauf en Chine. Et même s’il y aura sans doute plus de 50 millions de véhicules électriques en circulation dans le monde d’ici la fin de l’année, cela reste une goutte d’eau dans un parc de plus de 1,4 milliard de véhicules.

Un cas d’école des errements européens

Pour son malheur et le nôtre, la transition énergétique est une question rarement abordée de façon rationnelle, dépassionnée et responsable. Elle est polluée en permanence par des considérations idéologiques, morales, politiques et des intérêts économiques. Les exemples abondent de mauvaises décisions, d’erreurs stratégiques et de refus obstinés de reconnaître les échecs et les limites technologiques, sociales et économiques des politiques imposées.

La voiture électrique est un cas d’école. L’Union européenne (UE) en a fait le fer de lance du modèle qu’elle veut être pour le monde. Et dont personne ne veut… D’ici 2035, toutes les voitures neuves vendues dans les pays de l’Union seront 100 % électriques à batteries ou ne seront pas. Il ne s’agit pas ici de se laisser aller à la caricature. Les véhicules électriques ont des qualités indéniables. Ils réduisent sensiblement la pollution atmosphérique où ils circulent, pas de gaz d’échappement, et les émissions de gaz à effet de serre, à condition qu’ils soient rechargés avec de l’électricité bas-carbone. Mais ils posent des problèmes techniques, économiques, sociaux, environnementaux et de souveraineté qu’il faut regarder en face. Il est devenu impossible aujourd’hui de faire comme s’ils n’existaient pas. Même la Cour des comptes européenne tire la sonnette d’alarme et considère que nous sommes dans « une impasse ». Elle ajoute : « L’UE doit veiller à ce que sa souveraineté industrielle et ses citoyens ne paient pas ses ambitions au prix fort. »

Une stratégie purement politique

La question des véhicules électriques est en outre devenue éminemment politique. Elle divise profondément les populations et les sociétés car elle est considérée, à tort ou à raison, comme une menace pour le mode de vie et même la liberté de mouvement des classes moyennes. La fracture recoupe en grande partie celle entre les métropoles, qui se détachent de la civilisation automobile, et les régions dites périphériques restées dépendantes de ce moyen de transport. Les partis populistes ont fait de leur opposition à la transition contrainte vers la motorisation électrique un argument électoral efficace en Europe comme en Amérique du Nord.

Et il est indéniable que le remplacement des véhicules à motorisation thermique par des électriques à batteries est une décision avant tout politique. L’impulsion ne vient ni des constructeurs, ni des consommateurs. Elle vient, au nom de la réduction nécessaire des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation de pétrole, à la fois des subventions et des aides dont bénéficient les acheteurs, et des contraintes et pénalités infligées aux utilisateurs de véhicules thermiques et aux constructeurs qui ne basculent pas vers l’électrique.

Un marché artificiel

Du coup, le marché de la voiture électrique est en très grande partie artificiel, créé et alimenté par les pouvoirs publics. Sans subventions, les ventes de voitures électriques ne décollent pas et quand subitement il n’y en a plus, elles baissent rapidement. Cela s’est vérifié aussi bien au Danemark en 2016 qu’en Chine en 2019 et depuis le début de l’année en Allemagne, en Suède et en Nouvelle-Zélande.  Sur les six premiers mois de 2024, les ventes de véhicules électriques neufs ont chuté de 16,4 % en Allemagne et 19,9 % en Suède. Dans l’ensemble de l’UE, la part de l’électrique est revenue sur la même période à 12,5 % contre 13 % au premier semestre de 2023.

« Le marché de l’électrique n’est pas naturel, il faut l’aider. Dans tous les pays où les aides ont diminué, la demande a chuté », résumait à la fin de l’année dernière Luca de Meo, le patron du groupe Renault qui parlait alors également en tant que président de l’association des constructeurs européens (ACEA).

Le contre-exemple norvégien

Le meilleur exemple de ce lien étroit entre subventions et niveau des ventes est fourni par le pays champion du monde du véhicule électrique : la Norvège. L’an dernier, plus de 80 % des véhicules neufs commercialisés dans ce pays étaient 100 % électriques. Pour donner un ordre d’idée, voilà ce que le gouvernement et les autorités locales offrent aux acheteurs : les péages gratuits sur les autoroutes, l’exemption de la TVA qui est de 25 %, l’exemption des taxes à l’importation, l’exemption de toutes les vignettes et taxes qui portent notamment sur le poids des véhicules et leurs émissions de CO2, des tarifs d’assurance privilégiés, des places de parking gratuites ou à des tarifs préférentiels et des tickets gratuits pour utiliser les ferries. Et il faut y ajouter l’autorisation dans de nombreuses villes engorgées d’emprunter les voies de bus.

Pour l’achat par exemple d’une Volkswagen ID4, la subvention publique représente en Norvège la somme incroyable de 36 500 dollars d’avantages. Résultat, les voitures électriques sont devenues bien moins chères à l’achat que celles à moteurs thermiques. Les Norvégiens ont donc logiquement multiplié les achats d’opportunité, quitte à avoir plusieurs véhicules. Cela coûte, selon une évaluation faite par la coalition de centre droit au pouvoir dans le pays, plus de 2,3 milliards de dollars par an au budget national. Ce qui est financé par les exportations de gaz et de pétrole…

Des objectifs totalement irréalistes

Que la croissance des ventes de voitures électriques finisse par ralentir après une progression spectaculaire depuis 2020, ce n’est pas une surprise. Elles ne peuvent pas augmenter de 50 % tous les ans. Le problème est que le ralentissement intervient bien plus tôt que prévu un peu partout dans le monde et est bien plus marqué. Il s’agit même depuis quelques mois sur les principaux marchés européens d’une baisse des ventes tout comme aux États-Unis. Cela contraint les constructeurs automobiles dans l’urgence à des ajustements douloureux de stratégies et de capacités et rend encore plus irréalistes les objectifs des gouvernements et des institutions internationales.

La première vague qui a vu une croissance impressionnante des ventes de véhicules électriques a été portée par les adeptes de la nouveauté, les passionnés de technologie, le marqueur social et politique que représente pour certains le passage à la motorisation électrique, de très généreuses subventions gouvernementales et la conversion de flottes d’entreprises contraintes souvent par la réglementation ou par la volonté d’afficher des convictions écologiques (greenwashing).

« Le plafond de verre de l’électrique »

La deuxième phase est bien plus compliquée. Il s’agit maintenant de convaincre des conducteurs plus soucieux de leur budget, moins enthousiastes à l’égard de la technologie et pas vraiment convaincus de l’intérêt d’acheter des véhicules plus chers que les voitures thermiques équivalentes tout en offrant moins de facilités d’usage. « On a fait le plein des clients aisés sur les segments C (compactes) et D (modèles supérieurs). On arrive donc à un plafond de verre sur l’électrique », explique Julien Billon, de AAA Data.

L’étude annuelle mondiale sur l’automobile faite par le cabinet Deloitte, la « Global Automotive Consumer Study » réalisée à la fin de l’année dernière auprès de 27 000 personnes dans 26 pays, soulignait les doutes persistants des automobilistes face à la motorisation électrique. Les mêmes réticences existaient en France, en Allemagne et aux États-Unis où seules 9 % des personnes interrogées envisageaient l’achat éventuel d’une voiture électrique.

Il faut dire qu’en moyenne, les véhicules électriques sont respectivement 30 % plus chers en Europe et 27 % aux États-Unis que leur équivalent thermique. Les subventions et aides diverses qui ont grandement contribué à stimuler les ventes se tarissent en Europe, de façon spectaculaire en Allemagne, et dépendent aux États-Unis du fait que les véhicules soient fabriqués sur le sol américain, ce qui réduit considérablement l’éventail de l’offre. Et l’imposition de droits de douane supplémentaires sur les véhicules électriques chinois importés, pour sauver les constructeurs généralistes européens et américains incapables d’être compétitifs, ne peut que renchérir les tarifs de l’entrée de gamme. Un cercle vicieux.

La panique gagne les constructeurs

Les consommateurs restent aussi et toujours préoccupés par la disponibilité des infrastructures de recharge et l’autonomie des batteries. Les progrès technologiques sans cesse annoncés des batteries, souvent de façon prématurée et exagérée, finissent par être contre-productifs. Ils amènent les automobilistes à reporter leurs achats en attendant que les nouvelles technologies soient sur le marché. Ils compliquent aussi encore un peu plus la naissance d’un marché de l’occasion indispensable pour élargir l’accès à ses véhicules. Rappelons qu’en France, il se vend trois fois et demi plus de voitures d’occasion que de voitures neuves et l’écart réel est même bien plus important si l’on considère que seulement la moitié des véhicules neufs sont achetés par des particuliers.

Et du côté de l’offre, des constructeurs et des filières, la panique gagne et des voix commencent à demander le report de l’échéance de 2035 pour l’interdiction en Europe des ventes de véhicules à moteur à combustion interne. Carlos Tavares, le patron de Stellantis, l’a évoqué tout comme Luca de Meo. « J’espère que l’interdiction s’appliquera un peu plus tard, parce que nous ne serons pas capables de le faire sans endommager toute l’industrie », a affirmé ce dernier.

Une situation intenable

« Endommager toute l’industrie » est un euphémisme. Les constructeurs se trouvent dans une situation intenable. Ils sont condamnés à vendre des véhicules électriques dont les consommateurs ne veulent pas. Faute de quoi, ils subiront des amendes extrêmement lourdes qui les mèneront à la faillite.

Le barème concocté par les technocrates bruxellois est une arme de destruction massive : 95 euros par gramme de dépassement de CO2 émis par véhicule vendu. La norme CAFE (Corporate Average Fuel Economy) qui impose aujourd’hui en moyenne des émissions de 95 grammes de CO2 par kilomètre par véhicule neuf vendu en Europe va passer en 2025 à 81 grammes et ensuite à 50 grammes d’ici 2030. S’il n’y a pas un sursaut de lucidité des institutions européennes, la filière automobile européenne, 14,6 millions d’emplois, va subir le choc le plus dévastateur de son histoire.

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