C’est une information qui aurait dû plus attirer l’attention. Tant les questions d’indépendance énergétique sont redevenues cruciales dans presque tous les pays après une période de dangereuse insouciance et illusion. C’est vrai pour la France comme pour la Chine, le Japon, l’Allemagne oui même les Etats-Unis.
Une des façons de surmonter les risques liés à une trop grande dépendance consiste à multiplier les fournisseurs et les partenaires. Rien de vraiment nouveau, même si parfois les dirigeants ont la mémoire courte. La façon par exemple dont l’Allemagne s’est délibérément mise pendant des années dans les mains de la Russie pour son approvisionnement en gaz naturel, une source d’énergie indispensable à sa stratégie de transition (Energiewende), laisse pantois. Même si les partisans de la « stratégie russe » y trouvaient parfois et à titre individuel de considérables avantage personnels…
L’atout nucléaire
Pour en revenir à la France, elle dépend et dépendait de la Russie et des pétromonarchies du golfe pour son approvisionnement en hydrocarbures sans avoir en face un poids suffisant, que ce soit sur le plan économique, financier, géostratégique ou militaire, pour établir des rapports de force plus favorables. Même si elle a toujours cherché à le faire.
Elle a en revanche un atout indéniable avec le nucléaire dont elle maîtrise la technologie, même si elle a perdu pour des raisons politiciennes inexcusables l’avance qu’elle a pu avoir par exemple dans les réacteurs de quatrième génération à neutrons rapides et la surgénération (les réacteurs et projets Rhapsodie, Phénix, Superphénix, Astrid). La France a cherché également en permanence à diversifier te contrôler ses sources d’approvisionnement en uranium et a constituer des stocks de combustible.
Une maîtrise totale de la filière du combustible
Le parc historique de 56 réacteurs plus 1 (Flamanville) et la maîtrise technologique acquise dans un premier temps auprès de l’américain Westinghouse dans les années 1970 sont aujourd’hui de sérieux atouts. Tout comme l’existence sur le sol national d’une filière complète du combustible. Elle va de l’amont, enrichissement et fabrication des assemblages, jusqu’à l’aval, le recyclage. Et on l’espère dans le « réenrichissement » avec l’intérêt bien compris de relancer les réacteurs de quatrième génération qui fonctionnent avec les déchets existants. Ces derniers sont stockés en telles quantités à la Hague qu’un parc d’une centaine de réacteurs à neutrons rapides aurait assez d’uranium appauvri et de plutonium stocké pour fonctionner plus de mille ans…
Mais nous sommes loin d’en être là et le pays dépend encore et pour un moment des importations d’uranium naturel pour alimenter les réacteurs existants dont la durée d’existence devrait être prolongée et sans doute à plusieurs reprises. Pour maîtriser cette dépendance, la constitution de stocks stratégiques est une réponse, tout comme la multiplication des pays fournisseurs, si possibles des pays alliés et politiquement stables. Ainsi, deux principaux exportateurs d’uranium vers la France sont le Canada et l’Australie. Mais toutes ces précautions ne suffisent pas à rassurer les éternels pessimistes et évidemment les adversaires historiques et idéologiques de cette source d’énergie qui annoncent déjà des pénuries d’uranium et s’inquiètent d’une dépendance française vis-à-vis de fournisseurs anglo-saxons. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes qui annoncent depuis des décennies un effondrement économique et civilisationnel à la Mad Max faute de pétrole…
Les Etats-Unis dépendants de l’uranium enrichi russe
Mais la réponse aux craintes sur une éventuelle hostilité un jour du monde anglo-saxon est venue des Etats-Unis qui ont un grand besoin du savoir-faire français dans le traitement du combustible. Un retournement de l’histoire. Avec l’usine d’enrichissement d’Orano (ex-Areva) Georges-Besse 2 au Tricastin (voir la photographie ci-dessus), la France dispose sur son territoire de capacités d’enrichissement à même de subvenir aux besoins de ses centrales. Ce n’est pas le cas des Etats-Unis. Ceux-ci sont de gros importateurs d’uranium enrichi, notamment depuis la Russie.
Ce qui depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022 est devenu un sérieux problème. La Russie fournissait environ un quart de l’uranium consommé dans les centrales américaines, et même la totalité du « Haleu », un uranium enrichi à plus forte proportion nécessaire aux projets de réacteurs innovants. La Maison Blanche a tout de même fini par promulguer en mai dernier une loi votée par le Congrès instaurant un embargo sur l’uranium russe et tous ses dérivés. Dans le même temps, elle a créé un système de subventions afin de développer au plus vite, aux Etats-Unis et dans des pays alliés, les capacités d’enrichissement qui manquent.
Une usine Orano va voir le jour dans le Tennessee
Orano y a vu une sérieuse opportunité. Francois Lurin, directeur des activités Chimie-Enrichissement du groupe, vient de dévoiler le projet d’une nouvelle usine d’enrichissement aux Etats-Unis dans le Tennessee. Elle sera capable de produire de l’uranium pour des assemblages classiques comme du Haleu et aura une capacité de production de « plusieurs millions d’UTS », soit l’équivalent des importations russe. Et pour financer un projet de plusieurs milliards de dollars, l’entreprise française devrait bénéficier des subventions mises en place par l’administration Biden, et pourrait commencer à produire au début des années 2030.
Si ce projet se concrétise, les Etats-Unis passeraient d’une dépendance très relative à la Russie, à une dépendance encore plus relative à la France. Rappelons qu’Orano est détenu à 90% par l’Etats français. Mais cette dépendance sera, il faut l’espérer, suffisante pour rassurer ceux qui imaginent un jour le Canada et l’Australie cesser de vendre de l’uranium à la France sur un ordre américain. Un rapport de force aura été établi. On devrait s’en réjouir.
Philippe Thomazo