Les États-Unis ont annoncé cet été investir 1,2 milliard de dollars dans deux projets de capture de CO2 directement dans l’atmosphère, soit selon le gouvernement américain le plus gros investissement jamais réalisé dans cette technologie. En fait, sans capture du CO2, les objectifs de décarbonation des trois prochaines décennies n’ont aucune chance d’être atteints. C’est ce qu’affirment de très nombreuses institutions dont l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le GIEC, le World Economic Forum, l’Académie des sciences américaine, l’Imperial College de Londres…. Il existe deux procédés différents de cette technologie. La capture et le stockage du CO2 (CCS) lors de processus industriels et le captage direct dans l’atmosphère (DAC). Ce dernier en est encore à un stade purement expérimental. Le DAC extrait le CO2 déjà présent dans l’air, via de grands ventilateurs et des procédés chimiques. Ce CO2 dans l’atmosphère est par nature très diffus – 420 parties par million, environ 0,04 % –, ce qui rend cette technique à la fois énergivore et coûteuse. Mais il est essentiel qu’elle se développe rapidement.
C’est en tout cas le pari fait par l’administration Biden. « Réduire nos émissions seul ne renversera pas les conséquences grandissantes du changement climatique ; nous avons aussi besoin de retirer le CO2 que nous avons déjà émis dans l’atmosphère », a expliqué Jennifer Granholm, la ministre américaine de l’Énergie. Il s’agit du « plus gros investissement dans l’élimination technologique du carbone de l’histoire », a-t-elle ajouté.
Réduire les incertitudes sur le potentiel de développement
Pour l’AIE, « la démonstration à grande échelle de la technologie DAC doit être faite le plus tôt possible afin de réduire les incertitudes concernant son potentiel de déploiement et les coûts futurs, et de s’assurer que ces technologies seront disponibles pour soutenir la transition… À court terme, la démonstration à grande échelle des technologies DAC nécessitera un soutien ciblé des pouvoirs publics, notamment par le biais de subventions, de crédits d’impôt et de marchés publics pour l’élimination du CO2 ».
Les deux projets américains situés au Texas et en Louisiane s’inscrivent exactement dans cette logique. Ils visent à faire passer le DAC au stade industriel et à éliminer chacun 1 million de tonnes de CO2 par an, l’équivalent des émissions annuelles de 445 000 voitures. La capacité de chaque projet représentera 250 fois plus de CO2 que le plus gros site de captage actuellement en fonctionnement, selon le ministère américain.
L’expérimentation la plus importante à ce jour est à une échelle qui n’a rien à voir. Elle se trouve en Islande et a été développée par l’entreprise suisse Climeworks. Elle a une capacité annuelle de captage et de stockage de 4 000 tonnes de CO2 dans l’air.
Deux approches technologiques
Climeworks participera d’ailleurs, avec les entreprises américaines Battelle et Heirloom, au projet en Louisiane, appelé Cypress et qui consistera à capter le CO2 dans l’atmosphère et ensuite de le stocker sous terre. Sa construction devrait commencer dès la fin de l’année. « Il est essentiel de mener à bien des projets de captage direct dans tout le pays, car il s’agit d’une méthode de transition vers un avenir qui réduit considérablement la quantité de dioxyde de carbone laissée en héritage dans notre atmosphère », a affirmé Shawn Bennett, directeur de la division énergie et résilience de Battelle.
Le projet texan sera lui mené par l’entreprise américaine Occidental et plus particulièrement sa filiale 1POINTFIVE et d’autres partenaires, dont la société Carbon Engineering. Il pourrait à l’avenir atteindre jusqu’à 30 millions de tonnes de CO2 éliminées par an, selon un communiqué d’Occidental. Les deux projets devraient créer 4 800 emplois.
Deux approches technologiques sont actuellement utilisées pour capturer le CO2 dans l’air. Le DAC dit solide est basé, comme son nom l’indique, sur des adsorbants solides fonctionnant à pression ambiante ou basse (c’est-à-dire sous vide) et à température moyenne (80-120 °C). Le DAC dit liquide repose sur une solution aqueuse comme l’hydroxyde de potassium qui libère le CO2 capturé à travers une série d’unités fonctionnant à haute température (entre 300 °C et 900 °C). Une installation DAC peut être implantée dans n’importe quel endroit disposant de ressources énergétiques à faible teneur en carbone et d’une capacité de stockage du CO2 ou d’une possibilité d’utilisation du même CO2.
Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), plus de 130 projets de captage de carbone dans l’atmosphère sont à des stades divers de développement mais seulement 18 installations testent aujourd’hui cette technologie dans le monde. Elles ont extrait l’an dernier 10 000 tonnes de CO2 de l’atmosphère, une quantité symbolique. L’ambition est de passer à 60 millions de tonnes d’ici la fin de la décennie et d’utiliser ce CO2 pour fabriquer des carburants synthétiques pour l’aviation, le transport maritime, les transports routiers lourds et éventuellement l’industrie.
Reste à développer le DAC à un coût acceptable et à une échelle qui permette à cette technologie d’avoir un réel impact. Pour atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050, le ministère américain de l’Énergie a calculé qu’il faudra capturer et stocker entre 400 millions et 1,8 milliard de tonnes de CO2 par an. Les deux projets annoncés la semaine dernière représentent 2 millions de tonnes par an…
Par ailleurs, pour que cette technologie ait réellement de l’avenir, elle doit impérativement réduire ses coûts. Ils sont aujourd’hui rédhibitoires, compris entre 600 et 1 000 dollars par tonne de CO2. Ils devraient être ramenés entre 100 et 300 dollars par tonne dans les prochaines décennies selon le rapport « State of Carbon Dioxide Removal » publié cette année.