Pas moins de 17 ans après le début du chantier, le démarrage de l’EPR de Flamanville a enfin eu lieu. Mais il n’y a pas de quoi pavoiser après ce qui a été un des plus grands fiascos industriels en France des dernières décennies. D’ailleurs, jusqu’aux dernières semaines le chantier aura été maudit et les doutes sont loin de s’être envolés sur les capacités réelles d’EDF et de la filière nucléaire française, victimes il est vrai d’un véritable abandon politique voire même parfois d’un sabotage délibéré. Il suffit de se rappeler les témoignages proprement ahurissants de légèreté et d’incompétences devant la Commission d’enquête parlementaire sur le nucléaire de 2023 de Lionel Jospin, Dominique Voynet, François Hollande ou Nicolas Hulot. Dans son rapport final, la Commission avait dénoncé trente ans ans de « divagation politique ». La dernier fois qu’un réacteur nucléaire a été lancé en France, le numéro deux de la centrale de Civaux, cela remonte au 27 novembre 1999, presque 25 ans. Et depuis le trou noir, jusqu’au chantier calamiteux de Flamanville.
Au mois de mai dernier, il a enfin pu être considéré comme terminé et une première demande à l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) a été déposée afin de procéder au premier chargement du combustible. La demande a été acceptée le 8 mai. Cette étape, achevée quelques jours plus tard, le 15 mai à midi, la cuve a pu être refermée et les essais à froid comme à chaud ont pu débuter.
Encore deux mois de retard pour des raisons non expliquées
Début juillet, Luc Rémont, le Pdg d’EDF annonçait un « démarrage imminent ». C’était sans compter avec quelques incidents plus ou moins sérieux sur lesquels EDF n’a évidemment pas communiqué. Il y aurait eu des problèmes avec des vannes qui auraient entraîné une surchauffe et des groupes électrogènes de secours récalcitrants. Deux mois plus tard, le producteur a déposé le 30 août auprès de l’ASN une nouvelle demande visant à obtenir l’autorisation d’effectuer la première divergence du cœur. La validation a été donnée et les techniciens de Flamanville ont procédé à l’étape hautement symbolique de la première divergence le 3 septembre. Le réacteur a alors connu sa première réaction nucléaire en chaîne et produit ses premiers électrons en délivrant 0,2% de sa puissance nominale.
Des procédures interminables et tatillonnes
Il faudra quelques temps avant que les 1.660 MW de puissance électrique soient disponibles. Plusieurs paliers sont prévus. Une première étape à 25% de la puissance. Elle permettra de faire un certain nombre de nouveaux essais en conditions réelles. Durant cette première période, viendra aussi l’étape symbolique du raccordement au réseau et de l’entrée en service commercial, faisant de l’EPR de Flamanville le 57ème réacteur en service sur le réseau français. Il y en avait 58 avant la mise à l’arrêt définitive en 2020 des deux réacteurs de Fessenheim pour des raisons purement politiciennes…
Une fois l’ensemble des tests sur ce premier palier validés, une nouvelle étape administrative s’ouvrira afin de demander l’autorisation de passer à un nouveau palier à 50% de la puissance nominale. Bis repetita, nouveaux essais, et nouvelle demande administrative. Il est difficile de faire plus tatillon et plus compliqué et cela participe évidemment de la dérive du chantier de Flamanville. Si tout se passe bien, d’ici la fin de l’année et selon le planning d’EDF, l’EPR produira sa puissance nominale. Le pays devrait y gagner un peu plus de 1600 MW de puissance électrique disponible pour les pointes hivernales ce qui devrait permettre, enfin, de fermer les deux dernières turbines à charbon du pays.
Réapprendre un fonctionnement industriel normé
Mais l’impact de Flamanville ne s’arrête évidemment pas là. Il faudra tirer les leçons des errements du chantier pour la construction des six EPR2 prévus et peut-être huit supplémentaires. Mais la vacance actuelle du pouvoir politique retarde encore un peu plus des décisions urgentes…
En tout cas, Luc Rémont est bien conscient du défi. Il a reconnu à la fin du mois dernier la nécessité de retrouver des capacités industrielles de construction normée et à la chaîne de réacteurs. « On a une industrie de la construction qui autrefois, il y a une trentaine d’années, construisait cinq réacteurs par an dans notre pays et à qui on a demandé ensuite de construire un réacteur sur deux décennies », a-t-il expliqué lors des rencontres de rentrée du Medef. « L’enjeu » du programme de six réacteurs plus huit en option est « de la ramener à l’échelle industrielle », a-t-il affirmé.
L’objectif « est de 70 mois pour la construction… » qui passe par une production normalisée par des équipes aguerris et des procédures répétées et fiabilisées. C’est loin d’être impossible puisque c’est le temps de fonctionnement effectif du chantier de l’EPR 2 de Taishan en Chine. Le réacteur de tous les records, puisqu’il a battu en 2023 son propre record mondial de production électrique en une année (12.884 TWh).
« Comme dans toute industrie, quand on répète un geste, on l’accélère, on améliore sa qualité de réalisation », a expliqué Luc Rémont. Mais il s’est empressé d’ajouter : « ce ne sera pas le cas sur le premier qui sera le premier de sa série, évidemment ».