L’avenir du nucléaire français repose sur les nouveaux réacteurs qu’EDF va devoir commencer à construire rapidement. Il faudra absolument remplacer une partie des 56 réacteurs aujourd’hui en service par des modèles plus puissants et encore plus sûrs baptisés EPR2. Dans l’EPR2, le plus important est le 2. Il signifie en fait une nouvelle génération de réacteurs permettant de surmonter les innombrables difficultés de construction des EPR.
Car le fiasco industriel de l’EPR a laissé des traces. De Flamanville en France à Hinkley Point au Royaume-Uni en passant par Olkiluoto en Finlande, les retards, malfaçons et dépassements budgétaires se sont accumulés, créant un sérieux doute sur les capacités de l’industrie nucléaire française affaiblie par des années d’abandon.Afin de redresser la situation, une enquête a été diligentée par le gouvernement.Le rapport indépendant dit«Folz», du nom de son auteur Jean-Martin Folz, a été rendu public à la fin de l’année 2019. Il a permis de tirer les leçons des déboires de l’EPR et de savoir ce qu’il fallait absolument corriger et changer sur l’EPR2.
Les principaux problèmes de l’EPR
- Une complexité inutile
L’EPR est un réacteur nucléaire de troisième génération, qui intègre de nombreuses technologies nouvelles. Il était à l’origine une coopération dite européenne (et en réalité plutôt franco-allemande).L’EPR, pour Evolutionary Power Reactor, est un réacteur à eau pressurisée conçu par Framatome et Siemens dans les années 1990, après la catastrophe de Tchernobyl, afin d’offrir toutes les garanties de sécurité.Le cahier des charges, issu d’un mélange des exigences des deux pays, manquait de cohérence: faire des copier/coller sans vérifier la compatibilité des demandes et des technologies a entraîné un grand nombre d’incompréhensions et de défauts de conception qu’il a fallu ensuite corriger tant bien que mal. Carla coopération franco-allemande a tourné au fiasco après la décision allemande d’abandonner le nucléaire. La conception de l’EPR a été reprise par les seules équipes relativement inexpérimentées d’Areva-Framatome qui n’avaient plus construit de réacteurs depuis deux décennies.
Cela était d’autant plus difficile que le partage des tâches entre différentes entreprises de plusieurs pays s’est traduit par un fonctionnement« en silo », avec une distribution des tâches issu d’un accord politique plus que d’une réelle complémentarité.Chacun a travaillé de son côté, sélectionnant ses fournisseurs sans tenir compte des autres pièces déjà commandées par exemple. Résultat, un nombre de références différentes délirant avec13309 modèles de robinets, 1517types de câbles, 214 modèles de portes, 836 gabarits de tuyauterie à 257 et 800 modèles de pompes…En fait, la conception des EPR par Areva, dont les plans étaient réalisés à moins de 40% quand le premier chantier, celui d’Olkiluoto, a été lancé, pose de sérieux problèmes. Non seulement elle est trop compliquée, mais elle a été réalisée trop rapidement et était trop dépendante du savoir-faire des fournisseurs.
- Le manque d’expérience
EDF, reprenant le flambeau d’Areva, n’avait en outre aucune expérience dans la construction de réacteurs EPR avant le projet de Flamanville. Cela a conduit à des erreurs et des retards supplémentaires. Ce déficit d’expérience a été amplifié par une volonté d’internaliser certaines tâches au-delà des domaines de compétences.
- Des changements permanents de réglementation
Les ajouts décidés au cours de la construction pour intégrer des exigences supplémentaires des autorités de sûreté afin de tenir compte des enseignements de l’accident de Fukushima au Japon en 2011 ont rendu les choses encore plus ingérables. Cela a amené des modifications successives d’un projet déjà ingérable, qui ont entraîné retards et surcoûts supplémentaires.
Les recommandations du rapport Folz
- Simplifier le design du réacteur
Ainsi, la double membrane de l’enceinte de confinement est abandonnée sur l’EPR2. N’ayant pas démontré de gain de sûreté, elle est remplacée par une membrane simple renforcée, aussi protectrice. Cette simplification permet de réduire le nombre de joints et de soudures, et donc le risque de fuite.
Les pièces du génie civil de l’EPR2 sont également plus grandes et de forme plus simple que celles de l’EPR. Cela permet de réduire les coûts de fabrication et de construction.
- Standardiser les composants
L’EPR2 utilise des composants standardisés autant que possible. Cela permet de réduire les coûts de construction et de maintenance. Par exemple, le futur EPR2 ne comptera plus que 14 modèles de câbles différents,91 modèles de portes, 63 modèles de pompes et 257 gabarits de tuyauterie.
- Améliorer la planification et la gestion du projet
La planification et la gestion du projet qui ont été chaotiques devraient être grandement améliorées avec une direction unique et l’adoption de meilleures pratiques de gestion d’un grand projet industriel. EDF devrait avoir appris de ses erreurs.
- Renforcer la collaboration entre les différents acteurs
Le rapport recommande de renforcer la collaboration entre EDF, les fournisseurs et l’autorité de sûreté. C’est le sens du plan Excell lancé par EDF en 2020 avec pour objectif de permettre à tout l’écosystème du nucléaire de renforcer son savoir-faire avec un seul objectif : réussir du premier coup.
- Industrialiser la construction
L’EPR2 est conçu pour être construit de manière plus industrialisée que l’EPR. C’est pour cela qu’il a été décidé de construire et faire fonctionner les EPR2 par paires(à Penly en Normandie, Gravelines dans le nordet au Bugey dans l’Ain). Cela permet de mutualiser les équipements secondaires, de gagner du temps sur la fabrication du deuxième réacteur qui suit de près celle du premier en évitant les tâtonnements et permet des économies d’échelle. Le plan de construction offrant une visibilité sur plusieurs décennies avec une première tranche de six réacteurs et une autre dont l’option reste à lever de huit supplémentaires permet de viabiliser les chaînes de production, de conforter les sous-traitants et de valider les investissements.
- Améliorer la productivité
EDF a mis en place une série de mesures visant à améliorer la productivité de la construction des EPR2. Elles comprennent notamment la formation des équipes de construction, l’optimisation des flux logistiques et l’utilisation de nouvelles technologies. À commencer parla mise en place d’un jumeau numérique dès la construction qui est une première dans le nucléaire civil mondial. Celui-ci doit permettre une optimisation permanente de l’organisation du travail.Selon EDF, toutes ces mesures devraient permettre de réduire le coût de construction d’un EPR2 de 20 à 30% par rapport à l’EPR.
Le design de l’EPR2 a été validé en juillet 2019 par l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN).Maintenant, entre les annonces, les promesses et la réalité industrielle, il y a parfois une marge. Car il subsiste autour des EPR2 de sérieuses interrogations. Elles sont notamment liées à la capacité d’EDF de recruter du personnel compétent en nombre suffisant au cours des prochaines années et à l’équation économique et financière des EPR2.
Le risque économique et d’un étalement du programme
La crise énergétique qui frappe l’Europe depuis 2022a de profondes répercussions. L’augmentation des prix de l’électricité, en 2022pour les entreprises et les collectivités, et maintenant pour les particuliers avec un décalage de dix-huit mois sur les tarifs réglementés, affecte la demande.Dans le même temps, les stratégies de décarbonation passent par une électrification massive des usages et, de facto, une augmentation substantielle de la demande. Des signaux contradictoires entre une hausse des tarifs qui affecte la demande et de nouveaux réacteurs censés accompagner l’augmentation des besoins peuvent remettre en cause la viabilité des investissements d’au moins 60milliards d’euros dans les six premiers EPR2.EDF, déjà endetté à hauteur de plus de 60 milliards, ne peut pas se permettre d’avoir des réacteurs qui ne répondront pas à des besoins et qui ne tourneront pa sà plein régime. Si la demande d’électricité en France et en Europe ne se redresse pas du fait de la transition énergétique, de la croissance économique et de la réindustrialisation, la tentation sera alors très grande d’étaler dans le temps la construction des réacteurs, voire d’en annuler.Or, pour faire baisser le prix de revient de l’électricité produite parles EPR2, l’industrialisation des process et les économies d’échelle liées aux mises en chantier qui s’enchaînent et à la montée en compétence des équipes sont indispensables. Il en va de l’équilibre économique de l’exploitation des nouveaux équipements. Rappelons que le coût principal de l’électricité nucléaire provient de la construction des réacteurs, pas de leur exploitation
Une question de crédibilité
Autre question épineuse, celle du financement sur trois décennies du programme. La période des taux bas est révolue, et un projet nucléaire apar définition un besoin de capital important dès son lancement et jusqu’à la mise en service des réacteurs une décennie plus tard, quand tout va bien.
L’EPR de Flamanville en donne un exemple saisissant. Sur les 19 milliards d’euros de la facture finale, 13 milliards sont des dépenses d’investissement et 6 milliards correspondent aux frais financiers. EDF joue son avenir économique financier et sa crédibilité industrielle et technologique sur le succès de l’EPR2 et du premier coup. En cas de réussite avec des budgets et des calendriers tenus et une technologie fiable, la France retrouvera son rang de puissance électrique et alimentera une bonne partie de l’Europe en électricité décarbonée abondante, non intermittente et à des prix maîtrisés. En cas d’échec, il en sera très vraisemblablement fini de la filière nucléaire française.