La malédiction de l’économie africaine n’épargne pas le secteur énergétique et la production de combustibles fossiles. Si les projets pétroliers et surtout gaziers se multiplient depuis plusieurs années, au Sénégal, au Mozambique, en Namibie, en Mauritanie…, les grands producteurs éprouvent les pires difficultés pour fiabiliser et accroître leur production et ont été incapables de profiter des prix élevés et d’une demande mondiale qui augmente au cours des dernières années. Une situation qui pourrait bien ne pas durer. Ce n’est pas un problème de potentiel, mais de gestion et de développement des ressources.
Les origines des difficultés des producteurs de pétrole africains sont ainsi assez faciles à identifier. La première est évidemment une baisse tendancielle de la production faute d’investissements dans l’entretien des équipements existants et le développement de nouveaux gisements. Cela est la conséquence de subventions nationales extrêmement coûteuses aux carburants, de politiques de contrôle des prix et de la corruption généralisée qui laminent les revenus pétroliers et empêchent qu’une partie significative soit réinvestie. Il faut y ajouter une incapacité à s’adapter aux évolutions des marchés d’exportation et à l’augmentation de la production de pétrole de schiste américaine et des ventes clandestines de cargaisons à prix cassés par la Russie et l’Iran.
La Chine préfère le pétrole du Moyen-Orient et de la Russie
La révolution du pétrole schiste a propulsé les États-Unis au rang de premier producteur mondial en 2018, réduisant considérablement leurs importations de pétrole brut africain. Dans le même temps, la valeur des importations chinoises de pétrole en provenance des principaux producteurs africains a diminué d’environ 28% entre 2018 et 2023. Cette contraction a été particulièrement marquée pour l’Algérie, l’Angola, le Soudan du Sud et la Libye, qui dépendaient fortement du marché chinois. Dans le même temps, les importations chinoises de pétrole en provenance des pays non africains membres du cartel Opep+, y compris donc la Russie, ont bondi de 78%. Les qualités du brut produit en Afrique, en général assez lourd, ont également été défavorables face à la concurrence croissante du brut américain et, plus récemment, des barils de pétrole russe bon marché, que l’Inde et la Chine s’arrachent.
Les cours du baril de pétrole ont atteint un prix moyen de 82 dollars en 2023, bien au-dessus du seuil de 65 à 70 dollars qui permet à la production de couvrir les besoins de recettes de la plupart des pays producteurs africains. Pourtant, les dix principaux pays africains riches en pétrole, qui exportent depuis au moins l’an 2000, affichent des excédents commerciaux inférieurs à ce qu’ils étaient en 2010, lorsque le prix moyen du pétrole était de 79 dollars le baril. Entretemps, les mêmes pays se sont également endettés et la dette représente maintenant en moyenne 85% des PIB.
L’effondrement de la production nigérianne
L’exemple du Nigéria, le plus grand producteur de pétrole d’Afrique, est le plus frappant. La production de pétrole brut du pays a fortement baissé, d’un million de barils par jour en un peu plus de dix ans. Elle est revenue de 2,5 millions de barils quotidiens en 2010 à 1,5 million l’an dernier. Au sein du cartel Opep+, qui a pourtant décidé collectivement depuis des années de réduire sa production pour maintenir les cours du baril à un niveau élevé, le Nigeria est le seul pays incapable d’atteindre son quota de production. Il le doit au vandalisme sur les oléoducs, au vol de pétrole et au manque d’investissement lié à cette situation. Le Nigeria est le pays du cartel Opep+ qui est le plus en retard sur ses objectifs de production. A tel point que l’Opep+ a réduit l’année dernière son quota de production, fait rarissime. La situation est d’autant plus difficile qu’une bonne partie des recettes pétrolières du Nigeria servent à subventionner les prix des carburants domestiques.
A tel point que la situation était devenue financièrement intenable et après son arrivée au pouvoir en mai 2023, le président nigérian Bola Ahmed Tinubu a mis fin progressivement aux subventions des carburants qui coûtaient au pays des milliards de dollars par an. Mais cela a amplifié la crise économique née d’une inflation supérieure à 30%. Au début de la semaine, dans la nuit de lundi à mardi, la Nigerian National Petroleum Company (NNPC) a fait passer le litre d’essence d’environ 610 nairas à 855 nairas et les stations privées affichent des prix qui atteignent parfois les 1.200 nairas. La NNPC, a déclaré l’état d’urgence. Selon Mele Kyari, son Directeur général, un minimum d’investissements et le retour à l’ordre dans le pays pourraient permettre à sa compagnie de pomper facilement plus de 2 millions de barils par jour sans déployer de nouvelles plates-formes. Et c’est indispensable aux finances du pays.
La situation en Libye est encore plus chaotique compte tenu de la situation de guerre civile permanente depuis 2011 et la partition de fait du pays. Le pays est ainsi incapable de maintenir un niveau de production constant. Quand Mouammar Khadafi était au pouvoir, jusqu’en 2011, la Libye était capable de produire 1,65 million de barils par jour d’un pétrole de grande qualité. Un niveau qui est descendu à 1,15 million de barils par jour en juillet dernier et qui s’annonce très inférieur à cela en août compte tenu du blocage de certains champs pétroliers par des groupes armés. La Libye possède les plus importantes réserves pétrolières du continent africain avec environ 48 milliards de barils.
Investissements très insuffisants
L’Angola, le Congo, la Guinée équatoriale et même l’Algérie ne rencontrent pas les mêmes difficultés, mais les niveaux d’investissements dans la production sont très insuffisants pour éviter son déclin. L’Algérie a vu sa production baisser d’environ 25% depuis le sommet de 1,9 million de barils par jour atteint en 2007. Les réserves des champs pétroliers découverts en 1950 et 1960 s’épuisent et ne sont pas remplacées. La production de ces champs devrait encore diminuer de près de 50% d’ici 2030.
A l’échelle du continent, le principal problème est le risque politique. Il se traduit par le fait que les grandes compagnies pétrolières parient aujourd’hui sur les gisements offshore au large de la Namibie, un pays stable, dans l’espoir qu’il devienne un nouveau Guyana et le prochain grand producteur et exportateur de pétrole.
Cette situation est d’autant plus révoltante que l’accès à l’énergie est l’une des principales priorités en Afrique, où 600 millions de personnes vivent sans électricité et où environ 1 milliard de personnes n’ont pas accès à un mode de cuisson « propre » de leurs aliments, souligne l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans son rapport World Energy Investment 2024 (Investissements énergétiques mondiaux 2024).