La stratégie énergétique allemande, la fameuse Energiewende devenue le modèle des technocrates bruxellois et d’une bonne partie des mouvements écologistes, est devenue un objet de dérision. Y compris dans le pays même et par sa Cour des comptes. Elle est extrêmement coûteuse, près de 600 milliards d’euros et assez peu efficace en termes de réduction des émissions de gaz à serre. Si l’Allemagne a fini par faire des progrès dans ce domaine, elle le doit avant tout aux difficultés de son industrie. Il est en tout cas assez absurde de vouloir se placer en leader européen de la lutte contre le changement climatique, tout en préférant abandonner le nucléaire avant de s’attaquer très difficilement à la fermeture des centrales et des mines à charbon en ayant l’intention de les remplacer par du gaz naturel importé…
Mais il ne faudrait pas seulement se focaliser sur cet aspect (fondamental), l’Energiewende a un autre talon d’Achille. A savoir, des réseaux électriques incapables de gérer le poids sans cesse grandissant dans la production allemande des renouvelables intermittents.
L’Allemagne a totalement oublié le pragmatisme qui a fait sa réussite économique
Produire de l’électricité bas carbone, c’est bien. Etre capable de la produire au bon moment, quand la demande existe, et de l’acheminer à l’endroit où elle est utile pour être consommée, le tout en conservant en permanence un équilibre production/consommation permettant d’équilibrer la fréquence à 50 hertz (soit 50 changements de polarité par seconde sur un réseau en courant alternatif), c’est mieux. C’est ce que l’Allemagne est aujourd’hui incapable de faire.
Cela tient à deux raisons majeures. La première, c’est l’éloignement géographique. Les centrales nucléaires allemandes étaient implantées au sud et à l’ouest du pays, logique puisqu’il s’agit des deux zones à forte consommation. Produire l’électricité là où on en a besoin, est une stratégie de bon sens pour limiter le nombre de kilomètres de lignes haute tension nécessaires pour l’acheminer et donc les pertes.
Mais l’Allemagne, obnubilée par l’Energiewende, a oublié ce qui a fait sa réussite économique : le pragmatisme. Pourquoi s’embarrasser des réalités techniques quand on pense qu’il suffit de décréter politiquement que les renouvelables intermittents sont la réponse à tout. Résultat : le développement des énergies renouvelables en Allemagne s’est fait principalement au nord du pays, notamment parce que le vent pour alimenter les éoliennes souffle au nord. Problème, la consommation reste elle importante au sud et à l’ouest.
Congestion des réseaux
Depuis qu’à commencé, au lendemain de l’accident de Fukushima en 2011, le processus de fermeture de toutes les centrales nucléaires allemandes, les besoins en transport d’électricité ont augmenté de façon exponentielle. Entraînant des phénomènes de plus en plus fréquents de congestion des réseaux et des coûts croissants de gestion et de mise à niveau de ceux-ci.
Sauf que les projets visant à augmenter massivement les capacités de transport d’électricité entre les régions allemandes se heurtent à des oppositions locales farouches. Difficile de faire accepter les énormes et imposantes infrastructures, enlaidissant le paysage à raison d’un pylône d’une centaine de mètres de hauteur minimum tous les 150 à 200 mètres sur plusieurs centaines de kilomètres. Et l’Allemagne est un pays fédéral où les régions et les autorités locales ont une capacité autrement plus importante qu’en France à résister aux injonctions du gouvernement.
Déséquilibrer les réseaux des voisins…
Berlin cherche donc tant bien que mal à trouver des demi-solutions et à équilibrer son réseau par d’autres méthodes. Les interconnexions en sont une. L’électricité nécessaire mais inutilisée ou gaspillée dans le pays faute de moyens de l’acheminer peut être remplacée par celle, décarbonée, produite dans les centrales nucléaires ou hydrauliques des voisins… Mais augmenter ses capacités d’échange avec les voisins, c’est à la fois augmenter ses capacités d’importation quand il n’y a pas de vent et de soleil pour faire fonctionner les éoliennes et les panneaux photovoltaïques, mais aussi cela permet d’exporter – même à prix cassés ou négatifs – les surplus de productions intermittents. Sauf que cela déséquilibre complétement les marchés électriques des voisins en question.
Résultat, après la Norvège en mars 2023, c’est au tour de la Suède d’annoncer le 14 juin dernier mettre son véto à la construction d’une nouvelle interconnexion avec l’Allemagne.
La raison évoquée est particulièrement explicite. Le réseau allemand ne « fonctionne pas de manière assez efficace » en soulignant l’incroyable volatilité des prix liées à l’alternance permanente de périodes de surproduction et de sous-production. Le gouvernement suédois veut notamment protéger le sud du pays qui aurait été relié par cette nouvelle ligne sous-marine au réseau allemand. Cette région étant pauvre en capacités de production électrique, elle aurait été directement impactée par les fluctuations allemandes incontrôlées.
Une définition de la folie
Si la France, avec sa forte capacité de production dans l’Est ne subit pas les mêmes désagréments (en tous cas pas au même niveau), cela illustre les conséquences en chaîne d’une stratégie de transition énergétique purement idéologique et politique. Et ce qui semble encore plus incroyable est le fait qu’à Berlin comme à Bruxelles, l’ambition est de persister dans l’erreur et même d’accélérer. Une illustration parfaite de la célèbre citation d’Albert Einstein sur la définition de la folie : « la folie, c’est de faire toujours la même chose et s’attendre à un résultat différent ».
En l’occurrence, c’est être obnubilé par la partie production de la transition sans prendre en compte l’ensemble des infrastructures nécessaires et l’ensemble des externalités, qu’elles soient positives et négatives.
Philippe Thomazo