Une des raisons pour lesquelles le cartel pétrolier élargi Opep+ n’arrive pas vraiment à maitriser les cours du baril de pétrole tient à sa difficulté à faire respecter les quotas de production d’un certain nombre de pays producteurs. Rappelons que l’Opep+ rassemble les 13 pays membres du cartel historique Opep menés par l’Arabie Saoudite, le deuxième producteur et premier exportateur mondial, et leurs 10 alliés menés par la Russie, le troisième producteur mondial. La stratégie de l’Opep+ pour maintenir à un niveau élevé les cours du pétrole et maximiser ainsi les revenus pétroliers consiste depuis des années à limiter l’offre pour qu’elle soit légèrement inférieure à la demande.
L’Opep+ a ainsi décidé en juin de continuer à réduire sa production de 3,66 millions de barils par jour jusqu’à la fin de l’année 2025. L’organisation a également annoncé qu’elle prolongeait sa baisse de production supplémentaire de 2,2 millions de barils par jour jusqu’à la fin du mois de septembre 2024. Ensemble, ces réductions représentent environ 5 à 6% de la demande mondiale de pétrole. Pour autant, les cours du baril restent largement en-dessous des 90 dollars.
Une stratégie assez inefficace
La stratégie de limitation de l’offre fonctionne en fait de façon erratique à la fois parce que les pays producteurs extérieurs au cartel en profitent pour produire et vendre plus, à commencer par les Etats-Unis, le premier producteur mondial, et aussi parce que la discipline est problématique au sein du cartel. Ainsi, si les prix du baril ont été plutôt orientés à la hausse au cours des dernières semaines, cela tient avant tout à une demande assez soutenue, notamment en Chine, et aux craintes concernant l’approvisionnement dans le Golfe du Mexique pendant la saison des ouragans. Pour autant les prix du baril de qualité Brent sont loin d’avoir atteint et même approché le seuil des 90 dollars.
La surproduction de certains pays membres de l’Opep+ – notamment l’Irak, le Kazakhstan et la Russie – explique en partie cela. Entre janvier et mars 2024, la surproduction de l’Irak s’est élevée à 602.000 barils par jour et celle du Kazakhstan à 389.000 barils par jour. Il est plus difficile de savoir pour la Russie quelle est le niveau exact de surproduction compte tenu de ses exportations clandestines à prix cassés. Ce que l’on sait, c’est que pour financer la guerre en Ukraine et équilibrer son budget Moscou a besoin d’un cours du baril de Brent de 115 dollars et cela sans tenir compte du prix limite fixé par les pays occidentaux de 60 dollars le baril à ses exportations.
En tout cas, on en est loin. Les cours du Brent étaient inférieurs à 85 dollars le 9 juillet. Ce qui n’empêche pas le cartel d’envisager pourtant de commencer à assouplir une partie des coupes volontaires au quatrième trimestre de cette année.
Le principal producteur et leader de facto de l’Opep+, l’Arabie saoudite, cherche toujours à montrer l’exemple et continue de respecter son engagement de pomper 9 millions de barils de pétrole brut par jour. Elle a même expédié en juin dernier les plus faibles volumes de pétrole depuis dix mois, tandis que la consommation intérieure saoudienne a augmenté et que la Russie a continué à lui prendre des parts de marché dans les principaux marchés asiatiques. Ainsi, les importations indiennes de brut en provenance de Russie ont atteint 1,97 million de barils par jour le mois dernier, leur niveau le plus élevé depuis un an.
Des exportations saoudiennes au plus bas
Les exportations de pétrole brut saoudien sont tombées en revanche à 5,6 millions de barils par jour en juin, selon les données compilées par l’agence Bloomberg. Pour donner un ordre d’idées, ce volume d’exportation ne représente que 250.000 barils par jour de plus que les faibles exportations saoudiennes au début de la pandémie en 2020.
Et pendant ce temps-là, d’autres producteurs importants, y compris le numéro deux de l’Opep historique, l’Irak, ne respectent pas leurs engagements. L’organisation a donné aux « tricheurs » jusqu’en septembre 2025 pour compenser leur surproduction des derniers mois. Mais il n’y a aucun signe montrant que l’Irak et le Kazakhstan ont ramené leur production au niveau des quotas qui leur sont assignés, et encore moins en-dessous pour compenser la surproduction antérieure.
Des projets grandioses que Riyad est incapable de financer
Maintenant, l’Arabie Saoudite qui a des besoins financiers importants, notamment pour financer les développements économiques et technologiques grandioses voulus par le prince héritier Mohamed ben Salman pourrait perdre patience. Ce n’est pas pour rien si le projet spectaculaire de la ville du futur construite dans le désert, Neom City, initialement évalué à 1.500 milliards de dollars a été considérablement réduit. La ville linéaire devait faire 160 kilomètres de long et dans un stade initial n’en fera plus que 2 kilomètres…
Pour être à l’équilibre budgétaire, le Royaume a besoin d’un prix moyen du baril de Brent de 96,17 dollars sur l’ensemble de l’année 2024. Comme c’est un objectif inatteignable, Riyad a prévu un déficit budgétaire de plus de 21 milliards de dollars cette année, ce que de nombreux observateurs considèrent comme extrêmement optimiste.
Une seule solution pour l’Arabie Saoudite si les cours n’augmentent pas: produire et exporter plus. Avec le coût de production par baril de pétrole le plus bas du monde (à peine 1 à 2 dollars), l’Arabie Saoudite pourrait relancer une guerre des prix comme en 2014 et 2020. Ainsi, Saudi Aramco, la compagnie pétrolière nationale saoudienne et la plus importante au monde, a annoncé son intention de faire passer sa capacité de production de pétrole de 12 millions à 13 millions de barils par jour d’ici 2027 en investissant 40 milliards de dollars. Et ce n’est pas tout. Aramco a aussi de grandes ambitions dans la production et l’exportation de Gaz naturel liquéfié (GNL). Elle compte augmenter sa production de 60% d’ici 2030 et marcher ainsi sur les plates-bandes du Qatar.