La France et l’Allemagne ont décidé en 2019 d’injecter des dizaines de milliards d’euros afin de stimuler l’industrie européenne des batteries et rattraper le retard sur la Chine et les États-Unis. Cinq ans plus tard, cette ambition devenue européenne est menacée. Tandis que la croissance des ventes de véhicules électriques ralentit, des constructeurs automobiles tels que Volkswagen, Stellantis ou Mercedes-Benz réduisent ou réorientent leurs projets de constructions d’usines de batteries. En face, forts de capacités de production sans équivalents, d’un accès aux minéraux et à l’énergie (électricité) à des tarifs réduits, les fabricants chinois affichent des coûts de production inatteignables par leurs concurrents et mènent une véritable guerre des prix. Dans le même temps, avec une politique ouvertement protectionniste les États-Unis attirent les investissements sur leur sol à l’aide de subventions massives.
Retard de capacités, de compétitivité et même technologique
Comme le résume l’agence Bloomberg, la Chine dispose aujourd’hui de capacités de fabrication de batteries très fortement excédentaires, peut produire les cellules pour une fraction du coût possible en Europe et possède même une longueur d’avance sur la prochaine génération de technologie des cellules. Toujours selon BloombergNEF, le monde a aujourd’hui une capacité de production de batteries lithium-ion plus de deux fois supérieure aux besoins. Les capacités de production de la Chine, qui a construit son industrie avec des aides publiques se chiffrant en dizaines de milliards de dollars, sont d’ores et déjà trois fois supérieure à sa propre demande et le seront plus de six fois en 2025 si toutes les usines prévues dans le pays sont mises en service.
Non seulement, la Chine a des capacités de production nettement supérieures à toutes les autres mais elle a également une emprise sur la chaîne d’approvisionnement de l’industrie, en particulier sur le raffinage de minéraux clés tels que le lithium, le nickel, le cobalt et le graphite, ainsi que sur la production des anodes et cathodes des batteries. Jusqu’à présent, l’essentiel des investissements européens a été orienté vers la fabrication des cellules plutôt que vers les industries minières et de raffinage. Une erreur stratégique.
Complexités bureaucratiques
Pour compliquer encore la situation, les subventions européennes promises tardent à se matérialiser du fait, entre autres, des complexités bureaucratiques, marque de fabrique des institutions bruxelloises. La Commission européenne et le Royaume-Uni ont approuvé moins de 7 milliards d’euros d’aides d’État pour la fabrication de batteries depuis le début de l’année 2022, une petite fraction des 140 milliards estimés nécessaires pour atteindre l’objectif de 1,4 térawattheure de capacité de fabrication de batteries d’ici à 2030.
Les États-Unis devraient consacrer 160 milliards de dollars de crédits d’impôt avant 2029 aux cellules solaires et aux batteries. Le Canada a engagé 25 milliards de dollars dans des mesures incitatives en faveur des batteries l’année dernière, attirant notamment les investissements de Volkswagen et Stellantis.
Tout cela signifie que l’Europe pourrait voir sa stratégie de motorisation électrique à marches forcées devenir un désastre industriel, ce que dénonçait déjà en avril dernier la Cour des comptes européenne. Au lieu de rattraper le retard, il grandit. D’ores et déjà, plusieurs projets de construction de grandes usines de batteries, les fameuses gigafactories sont menacées comme celle d’ACC construite dans le nord de la France (voir la photographie ci-dessus). VW pourrait repousser le passage à la pleine capacité de son usine mastodonte des batteries d’une valeur de 20 milliards d’euros. Automotive Cells Company, dirigée par Stellantis et Mercedes, a mis en attente deux de ses trois sites afin d’envisager la fabrication de cellules moins coûteuses. Toujours sur le sol européen, la société chinoise Svolt Energy a annulé un projet en Allemagne en raison d’incertitudes sur les subventions et après le départ d’un client clé.
Le destin des panneaux solaires et de l’électronique grand public
Et les nouveaux entrants européens doivent aussi faire face à la concurrence de leurs principaux concurrents asiatiques sur le sol européen. La société chinoise Contemporary Amperex possède un site en Allemagne et en ajoute un autre en Hongrie, tandis que la société sud-coréenne LG produit des batteries en Pologne depuis près de six ans.
L’enjeu est considérable. Si l’Europe n’est pas capable de construire une filière compétitive de batteries pour véhicules électriques, son industrie automobile pourrait connaître le même destin que celle des panneaux solaires, l’électronique grand public ou la fabrication de puces.
Sebastian Wolf, directeur de l’exploitation de l’unité de batteries PowerCo de Volkswagen, appelle à un sursaut. « En tant qu’entreprise européenne, nous devons changer d’état d’esprit. Nous sommes passés du statut de professeur à celui d’élève. Nous devons rattraper un important retard », déclarait-il en marge d’une conférence à Stuttgart, en Allemagne. Même constat pour Yann Vincent, directeur général d’ACC : « il ne s’agit pas de dire que nous sommes immédiatement compétitifs, il y a clairement un problème. »
Un monde paralèlle
« L’Europe doit vraiment se réveiller et apporter une réponse décente », a expliqué Tom Einar Jensen, cofondateur de Freyr Battery, lors d’une rencontre organisée par BloombergNEF. Herbert Diess, président du fabricant de puces Infineon Technologies AG et ancien Pdg de Volkswagen, est encore plus radical. Il estime que l’Europe ferait mieux de se concentrer sur des solutions nouvelles pour permettre aux véhicules de fonctionner avec des sources d’énergie renouvelables. « Nous devrions faire ce que nous savons faire le mieux, et la Chine doit faire ce qu’elle sait faire le moins cher et de bonne qualité »
Et pendant ce temps-là, les rêveurs continuent à vivre dans un monde parallèle… D’après une étude parue en mai, l’ONG Transport & Environnement estime possible pour l’Europe d’être auto-suffisante en matière de production de batteries dès 2026. Elle reconnait tout de même « que le développement de tous les projets annoncés de fabrication de cellules de batteries, d’installations de cathodes et de précurseurs et de raffinage du lithium en Europe (y compris dans les pays non membres de l’UE) nécessitera 215 milliards d’euros d’investissements et 61 milliards d’euros de dépenses d’exploitation annuelles, provenant principalement d’investissements privés ».