<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> « Sous nos pieds, les roches et minéraux industriels n’attendent que nous »

9 juillet 2024

Temps de lecture : 6 minutes
Photo :
Abonnement Conflits
Abonnement Conflits

« Sous nos pieds, les roches et minéraux industriels n’attendent que nous »

par

En s'empêchant pour de mauvaises raisons d'extraire de son sous-sol des minéraux vitaux pour son industrie et son économie, la France se complique singulièrement la transition énergétique. Entretien avec Éric Marcoux, professeur honoraire à l’université d’Orléans et spécialiste international en ressources minérales, et Sandra Rimey, secrétaire générale de Minéraux industriels-France. Propos recueillis par Bertrand Alliot. Article paru dans le numéro 21 de Transitions & Energies.

La Société géologique de France en collaboration avec l’organisation professionnelle Minéraux industriels-France (MI-F) vient de publier Le minéral dans notre quotidien. Écrite par Éric Marcoux, professeur honoraire à l’université d’Orléans et spécialiste international en ressources minérales, cette magistrale monographie présente les différents minéraux et roches industriels présents sur notre territoire et fait le point sur leur exploitation et leur utilisation dans l’industrie. Richement illustré, ce livre de référence est une plongée dans un univers méconnu représentant un pan important de l’histoire et de l’avenir industriel de la France.

Cette parution est l’occasion d’un entretien croisé avec Éric Marcoux et Sandra Rimey, secrétaire générale de MI-F. À l’heure où la réindustrialisation et la question de la souveraineté reviennent en force, il nous est paru opportun de faire le point sur l’accès aux ressources présentes dans le sous-sol français et de mieux comprendre les obstacles économiques et écologiques à leur exploitation.

T&E – À la lecture des premières pages de votre livre, on réalise qu’il y a un problème de définition. L’expression « roches et minéraux industriels » ne recouvre pas les minerais ni les matériaux de constructions par exemple. Tout ce qui est extrait du sous-sol grâce aux mines et aux carrières n’est donc pas des roches et des minéraux industriels. On apprend par ailleurs que la fluorine peut être définie, selon les cas, comme un « minéral industriel » ou un « minerai ». Mais alors, que sont réellement les roches et les minéraux industriels ?

Éric Marcoux – Vos déductions sont exactes et la sémantique a son importance. On a encore pu constater hier, dans le cadre d’une réunion à MI-F avec les têtes de réseaux des collectivités, que beaucoup de gens confondent ces notions… Ce n’est pas forcément simple.

Les minéraux industriels sont des roches et des minéraux utilisés pour eux-mêmes : tels quels après purification comme le talc, incorporés à d’autres produits comme les peintures, plastiques ou papier, comme la calcite et le kaolin, ou transformés par cuisson ou fusion, comme la silice pour obtenir du verre… Les minerais, quant à eux, ne sont pas utilisables directement : on doit en extraire un élément utile, souvent un métal, grâce à un processus de transformation lourd, une fusion généralement.

Certains minéraux ont des usages doubles (voire triples) comme le sel ou la fluorine, car on peut les utiliser directement ou après en avoir extrait un élément. C’est pourquoi ils peuvent, selon l’utilisation, être un minerai ou un minéral industriel.

Ces distinctions sémantiques recouvrent des différences plus importantes : les compagnies exploitant minerais, minéraux industriels, matériaux de construction, etc., ne sont pas les mêmes. Les marchés aussi sont différents : de locaux pour les matériaux de construction à mondial pour les minerais et ressources énergétiques avec la dépendance qui en résulte. Les minéraux industriels sont aux trois échelles : local, national et international, d’où l’intérêt de conserver, voire de développer ce qui peut être exploité sur le sol national.

– L’enjeu de la souveraineté industrielle est revenu en force en France ces dernières années. Les roches et les minéraux industriels les plus utiles pour la transition énergétique sont-ils abondants en France et les exploitons-nous ?

E.M. – Le lithium et les terres rares sont deux des arbres qui cachent la forêt de la transition énergétique. La plupart des roches et minéraux industriels contribuent aussi à cette transition. Un seul exemple : les panneaux photovoltaïques sont en forte proportion des plaques de verre dopées, fabriquées avec de la silice qui, par ailleurs, est exploitée en France. Il est nécessaire de faire comprendre au public qu’une transition énergétique bien menée fait appel à un large panel de ressources minérales dont certaines extraites en France aujourd’hui, mais de plus en plus difficilement, car de nombreux zonages environnementaux spatialisés créent un blocage total pour accéder au sous-sol. Il s’agit d’un paradoxe de la pression écologique. Un des buts du mémoire est de sensibiliser le public sur ce point. Sous nos pieds, les roches et les minéraux industriels n’attendent que nous.

– On a le sentiment que les ressources du sous-sol français ont été depuis longtemps explorées, mais est-ce vraiment le cas ? Est-il possible que des « tas d’or » soient sous nos pieds sans que nous ne le sachions ?

E.M. – La réponse est oui, sauf que nous le savons, du moins la communauté des géologues miniers, notamment celle des anciens du BRGM [Bureau de recherches géologiques et minières] à laquelle j’appartiens. L’inventaire minier national (1969-1992) avait pour but de répertorier les ressources du sous-sol national, très majoritairement les métaux, même si fluorine et barytine ont été aussi classifiées. Il a été couronné de succès avec la découverte de très nombreux sites à or, tungstène, antimoine, plomb-zinc, étain et même molybdène, etc. Certains sites ont fait l’objet d’une reconnaissance approfondie, parfois d’un début d’exploitation pour l’or, l’antimoine, le tungstène, d’autres sont toujours vierges et pourraient révéler des tonnages et des teneurs économiques. Un nouvel inventaire est en phase de démarrage ce qui est très bien, car les méthodes d’exploration ont progressé depuis quarante ans et certaines méthodes géophysiques permettent de « voir » jusqu’à 500 ou 600 mètres de profondeur, ce qui va certainement engendrer de nouvelles découvertes.

La cause de fermeture de toutes ces mines est économique (chute des cours des métaux et concurrence internationale pour l’essentiel) et non géologique. La plupart des mines, sinon toutes, avaient encore des réserves parfois considérables à la fermeture.

– Il y donc des obstacles économiques à l’exploitation des minerais. Dans d’autres secteurs, les normes écologiques que vous évoquez sont beaucoup décriées. Dans votre domaine, ont-elles été durcies au point de freiner ou d’empêcher des projets d’exploitation ?

 Sandra Rimey – La géologie guide cette activité et il n’existe pas de multiples possibilités d’implantation car le cahier des charges des clients industriels est très strict. La matière naturelle notamment doit être pure malgré l’hétérogénéité du gisement. La silice ne doit pas contenir d’oxydes de fer, pas d’éléments pénalisants par exemple. De plus, si on prend des substances plus rares comme la diatomite, il existe deux gisements en France : dans le Cantal et l’Ardèche. Un gisement ne se délocalise pas !

Cette activité se place dans les milieux naturels agricoles ou boisés qui font aujourd’hui l’objet de nombreuses protections : 13 % du territoire français est classés Natura 2000 et on constate une stratification d’outils réglementaires de portée différente comme des arrêtés de protection de biotope, des zones agricoles protégées, des réserves naturelles, etc.

De plus la SNAP [stratégie nationale d’aires protégées] va geler strictement 10 % du territoire et 30 % moins strictement. Bref, la compilation spatiale des zonages de protection obère de plus en plus l’accès au sous-sol. Les créations de certains zonages ou structures porteuses créent, en sus de la réglementation nationale, des réglementations locales.

À cela s’ajoute la maîtrise foncière : quand les sondages ont montré que le gisement répondait aux critères physico-chimiques demandés, les propriétaires ne voulaient pas forcément une extraction. Sans compter les documents d’urbanisme (SCoT, PLU) qui peuvent bloquer la possibilité de déposer un dossier de demande d’autorisation d’extraire. Un exemple de bilan : en 2013, on dénombrait 68 carrières de silice, en 2023, il en reste 34.

– À vous entendre, on a le sentiment que ce zonage environnemental et toutes les règles afférentes sont en train de mettre en péril l’activité d’extraction des minéraux industriels. Est-ce bien le cas ? Cette pression environnementale est-elle toujours justifiée alors que des progrès importants ont été faits au cours des dernières décennies pour garantir « la propreté » de l’exploitation ?

S.R. – En effet, malgré l’ancienneté de cette activité, l’homme oublie sa dépendance aux ressources minérales. C’est ainsi qu’aujourd’hui, au troisième millénaire, les décideurs et acteurs territoriaux ne considèrent pas le sous-sol dans l’aménagement du territoire ou alors difficilement. Par méconnaissance, à cause de la technicité du sujet d’abord mais aussi à cause de la mauvaise réputation du secteur liée aux nuisances qu’une carrière peut engendrer : bruit, poussières, trafic de camions… Il y a aussi une montée en puissance des contraintes liées à la biodiversité qui devient étouffante. C’est d’autant plus problématique que les exploitants déploient des efforts très importants avant, pendant et après l’exploitation. À toutes les étapes, des précautions sont prises pour prendre en compte les différents habitats et espèces… L’ironie de tout cela, c’est qu’en fin d’exploitation, un bon nombre de carrières deviennent des oasis de biodiversité. On ne compte plus les anciens sites devenus des paradis pour les ornithologues.

Au sujet des blocages environnementaux, en sus des outils réglementaires nationaux évoqués précédemment, il existe des outils locaux comme les espaces naturels sensibles, les réserves naturelles régionales, les conservatoires d’espaces naturels qui compliquent beaucoup les choses. Le parc naturel régional (PNR) peut être pris comme exemple d’outil réglementaire local de protection de l’environnement qui peut empêcher un projet de carrière. Un PNR en Occitanie a créé des hauts lieux de biodiversité et des zones tampons de protection du paysage où les carrières sont strictement interdites. De plus, la charte que signent toutes les communes membres d’un parc, équivalent d’un règlement intérieur, peut bloquer les nouvelles carrières ou n’autoriser que les extensions. Dans le cas des minéraux industriels, une extension n’est pas toujours possible, car la ressource aux caractéristiques physico-chimiques exigées n’est pas toujours dans la continuité mais à plusieurs kilomètres…

Le résultat sera la fin de certaines filières à l’horizon 2030, 2040, 2050 et des filières industrielles associées. En fin de compte, cela se traduira par une augmentation des importations et des délocalisations…

Les pistes à suivre pour que la France puisse accéder à ses ressources seraient de retrouver un équilibre entre protection de la nature et accès au sous-sol, de diffuser une meilleure compréhension du fonctionnement des écosystèmes et de l’impact non négatif de l’être humain, de faire connaître ces activités, de collaborer pour instaurer une acceptation dans ces zones protégées avec un cahier des charges très strict de bonnes pratiques.

À propos de l’auteur

La rédaction

La rédaction

Newsletter

Voir aussi

Share This