L’énergie marémotrice cumule les paradoxes. Elle offre un potentiel considérable de production d’électricité décarbonée en utilisant, comme son nom l’indique, les courants parfaitement prévisibles des marées pour faire tourner des turbines. C’est une source d’énergie dite propre, intermittente, mais pas aléatoire comme l’éolien et le solaire. En outre, les installations ont une durée de vie d’au moins un siècle. Mais son développement a été considérablement freiné par des problèmes environnementaux, économiques, technologiques et la nécessité jusqu’à aujourd’hui d’avoir accès à des zones géographiques assez rares.
Cela pourrait changer dans les prochaines années du fait de progrès technologiques comme les hydroliennes, d’une baisse des coûts, d’une meilleure compréhension des dégâts environnementaux et de la nécessité de produire toujours plus d’électricité décarbonée. Ce n’est pas pour rien si le Département américain de l’énergie vient de débloque des fonds pour accélérer la recherche d’améliorations technologiques et si plusieurs études récentes soulignent le potentiel de l’énergie marémotrice. Parmi les pays dont les côtes et les courants sont favorables, on trouve notamment : la France, la Chine, le Royaume-Uni, la Corée du sud, le Canada et la Russie.
Un principe simple et millénaire
En tout cas, utiliser les courants des marées pour produire de l’énergie est tout sauf une idée nouvelle. Le principe est simple : exploiter la différence de hauteur entre deux bassins séparés par un barrage. L’eau de mer s’y engouffre jusqu’à marée haute et en ressort jusqu’à marée basse. A l’époque romaine déjà des moulins à marée ont été utilisés. Plus près de nous, l’usine marémotrice de la Rance dans le nord-est de la Bretagne (voir la photographie ci-dessus) a été mise en service en 1966 et inaugurée alors par le Président de la République Charles de Gaulle… L’idée de la construire remontait à 1921 et à l’ingénieur en chef des ponts et chaussées Georges Boisnier. Avec 24 turbines et une capacité de 240 MW, elle est restée la plus puissante usine marémotrice au monde jusqu’en 2011. Elle a alors été supplantée de peu par la centrale de Sihwa en Corée du sud (256 MW).
L’usine de la Rance n’est pas anecdotique. Sa production annuelle d’électricité est de l’ordre de 500 GWh, ce qui correspond selon EDF aux besoins d’une ville de 225.000 habitants. Le facteur de charge de l’installation est d’environ 25%. Il est lié étroitement à la périodicité et à l’amplitude des marées. Particulièrement intéressant, le coût de production d’électricité d’un équipement largement amorti est évalué à 0,18 euro du kWh, l’un des plus faibles qui soit. Mais le barrage a un impact sur l’environnement et est à l’origine de l’envasement progressif de l’estuaire. Cela menace la navigabilité de la Rance, contraint à mener des travaux de nettoyage importants et fait perdre chaque année 1% de capacité de production à la centrale.
De façon plus générale, les barrages installés sur les estuaires modifient le niveau de l’eau et affectent la flore et à la faune. Ils peuvent également affecter la salinité de l’eau, ce qui a un impact négatif sur la vie marine.
Regain d’intérêt
Mais on assiste néanmoins pourtant un peu partout dans le monde à un retour timide de l’énergie marémotrice. Aux Etats-Unis, le Département de l’énergie a annoncé en février participer au financement de deux projets pilotes. L’un mené par Orcas Power and Light Cooperative (OPALCO) vise à contruire une installation dans le détroit de Rosario des îles San Juan pour produire environ 2 MW d’électricité qui alimentera les habitants de l’île. Et le second projet conduit par Ocean Renewable Power Company (ORPC) installera deux dispositifs d’énergie marémotrice dans le bras de mer Cook en Alaska.
Au Royaume-Uni, qui bénéficie de conditions côtières très favorables, la capacité installée Uni devrait passer d’environ 10,4 MW à l’heure actuelle à plus de 50 MW d’ici 2027. Cela reste modeste. Surtout par rapport au projet majeur sur l’estuaire de la Severn entre le Pays de Galles et l’Angleterre qui prévoyait une capacité de production de l’ordre de 2.000 mégawatts avec ses 1.026 turbines. Il aurait pu produire alors environ 5% de la production électrique britannique. Il a été finalement abandonné en 2010 en raison à la fois de l’ampleur des investissements nécessaires, près de 24 milliards d’euros, et des oppositions locales.
En tout cas, les coûts de construction et de fonctionnement des installations ont considérablement baissé au cours des dernières années, de moitié depuis 2018 selonRichard Arnold directeur politique du Marine Energy Council au Royaume-Uni. Il ajoute « que grâce aux économies d’échelle le coût de l’énergie marémotrice atteindra 78 £/MWh [92 euros/MWh] d’ici 2035, nettement moins cher que le nouveau nucléaire, et tombera en dessous de 50 £/MWh [59 euros/MWh] d’ici 2050 ».
La promesse des hydroliennes
Cela dit, il faut des conditions géographique et techniques bien précises. A commencer par des marées de forte amplitude et régulières, d’au minimum 5 mètres, et idéalement entre 10 et 15 mètres. Par exemple, le niveau monte jusqu’à 13 à 14 mètres sur le site de la Rance. La construction du barrage et des turbines nécessite aussi une profondeur de 10 à 25 mètres sous la mer et un sol rocheux. Et tout ça doit se combiner dans l’estuaire d’un fleuve.
Une hydrolienne produite par la société quimpéroise Sabella.
Cela signifie que l’avenir de l’énergie marémotrice se trouve peut-être plus au large avec les hydroliennes. Ces sortes d’éoliennes immergées produisent de l’électricité en exploitant les courants marins ou fluviaux sous la surface. Elles permettent des installations moins lourdes, moins coûteuses, éventuellement plus éloignées des côtes et avec des conséquences environnementales plus limitées. Il s’agit encore d’une technologie relativement embryonnaire, mais de nombreuses start-ups se sont lancées dans l’aventure notamment en France et bénéficient du soutien de la Banque publique d’investissement (BPI). Il existe même des hydroliennes domestiques ou hydroliennes de ruisseau pour les particuliers.