Le ciment est tout simplement le premier produit manufacturé sur terre, par sa masse, et le deuxième matériau le plus utilisé… derrière l’eau. Il est indispensable à la vie moderne. Il est le liant qui permet de fabriquer le béton, matériau omniprésent et indispensable à la construction, des bâtiments comme des travaux publics, dans les pays riches comme dans les pays en développement. Il se fabrique la quantité colossale de plus de 4,6 milliards de tonnes de ciment par an. Sa fabrication produit 8 % des émissions annuelles mondiales de CO2. Cela signifie que l’industrie du ciment est face à un défi considérable pour adopter des procédés de fabrication qui émettent à la fois moins de gaz à effet de serre et pour capter et stocker le carbone émis. Jusqu’à aujourd’hui, les progrès technologiques ont été lents. Notamment, parce que la moitié des émissions provient de la réaction chimique inhérente au processus même de fabrication.
« Miracle absolu »
Mais une découverte de chercheurs de l’ Université de Cambridge pourrait changer beaucoup de choses. Ils ont trouvé le moyen de recycler le béton et de fabriquer ainsi du « ciment électrique zéro émissions ». En jetant du vieux béton dans des fours de recyclage d’acier, on purifie non seulement le fer, mais on produit aussi du « ciment réactivé » en tant que sous-produit. Si le four est alimenté par de l’électricité décarbonée, le processus doit permettre d’obtenir un ciment totalement exempt d’émissions. L’équipe de l’université de Cambridge a détaillé sa découverte dans une étude publiée la semaine dernière dans la revue Nature. Elle est qualifiée de « miracle absolu » par Julian Allwood, l’un de ses quatre auteurs, professeur d’ingénierie et d’environnement.
Il faut dire que rendre le mode de fabrication du ciment moins émetteur de gaz à effet de serre semblait jusque-là une mission impossible. Le problème est que le processus chimique qui donne naissance à l’ingrédient actif du ciment, le clinker émet beaucoup de carbone. Le ciment est fabriqué en montant en température jusqu’à 1.450 °C, un mélange de calcaire, d’argile et de sable dans un four rotatif. Sous l’effet de la chaleur, la farine issue de ce mélange se transforme en clinker. Le clinker est alors refroidi, puis finement broyé pour devenir la poudre que nous appelons ciment. Les différentes sortes de ciment sont ensuite obtenues par ajout de composants minéraux supplémentaires comme des cendres de centrales thermiques, du laitier de haut fourneau, des fillers calcaires ou encore des pouzzolanes naturelles ou artificielles.
Un four à arc électrique utilisé pour recycler l’acier
Les experts de l’industrie et les chercheurs ont passé les deux dernières décennies à chercher des moyens d’utiliser moins de clinker, et bien qu’ils puissent réduire la quantité nécessaire en le mélangeant à d’autres produits, il n’y a actuellement pas de ciment sans au moins une certaine quantité de clinker.
Cyrille Dunant, un des auteurs de l’étude de Cambridge, explique avoir eu une intuition lors de travaux effectués sur les méthodes de recyclage du béton. « J’ai eu une vague idée lors de mes travaux antérieurs qu’il devait être possible de broyer du vieux béton, en enlevant le sable et les pierres, le chauffage du ciment éliminerait l’eau et formerait à nouveau du clinker. Un bain de métal liquide faciliterait cette réaction chimique, et un four à arc électrique, utilisé pour recycler l’acier, semblait tout à fait envisageable. Nous devions essayer. »
La première étape a consisté à écraser les déchets de béton d’un bâtiment démoli afin de séparer le vieux ciment des restes de pierre et de sable. Cette « pâte de béton » a ensuite été transférée dans un four à arc électrique utilisé pour le recyclage de l’acier. Lors des premiers essais à petite échelle, la nouvelle technique a produit quelques dizaines de kilogrammes de ce que l’on appelle le « ciment électrique ». L’équipe de Julian Allwood et Cyrille Dunant teste actuellement le processus à une échelle industrielle et espère produire jusqu’à 66 tonnes de ciment réactivé en l’espace de deux heures.
Jusqu’à un tiers des besoins de ciment du Royaume-Uni d’ici 2030
Les chercheurs sont également en train de déposer un brevet et travaillent à établir des partenariats avec des entreprises et des agences gouvernementales pour accélérer le développement de cette technique. Si le béton recyclé est aussi solide et résiste aussi bien à la pression que le béton neuf, les ingénieurs estiment que cette solution pourrait couvrir jusqu’à un tiers des besoins en ciment du Royaume-Uni d’ici à 2030, dans seulement six ans.
Mais aussi prometteuse que soit cette technologie, Julian Allwood rappelle que le ciment recyclable n’est qu’un élément du problème. « Produire du ciment sans émissions est un miracle absolu, mais nous devons également réduire la quantité de ciment et de béton que nous utilisons ».