Avec 94 réacteurs civils opérationnels produisant de l’électricité dans 54 centrales, les Etats-Unis possèdent toujours le parc nucléaire civil le plus important au monde. Mais l’approvisionnement de ces réacteurs nécessite des quantités relativement importantes d’uranium enrichi. Contrairement à la France qui a toujours fait de la chaîne d’approvisionnement en amont (enrichissement de l’uranium, fabrication des assemblages, etc…) une priorité stratégique dans une optique d’indépendance énergétique, les capacités internes américaines ne permettent pas de couvrir cette demande.
Ainsi, en 2023, la Russie pour ne parler que d’elle a fourni environ 24% des besoins en combustible des réacteurs américains. Mais cela ne va plus être possible. Car Joe Biden a signé le 13 mai dernier le « Prohibiting Russian Uranium Imports Act ». Une loi votée au Congrès à la fois par les démocrates et les républicains qui interdit purement et simplement à partir d’août 2024 et jusqu’en 2040 l’importation d’uranium et de tous ses dérivés depuis la Russie.
Pas de problèmes à court terme
Si le pays dispose de réserves conséquentes d’uranium enrichi qui font que cet embargo ne va pas poser de problèmes à court terme, la situation deviendra compliquée à moyen et long terme en l’absence d’augmentation des capacités internes sur la chaîne amont du combustible. C’est ce qui est prévu.
L’administration américaine a ainsi décidé d’apporter des milliards de dollars de subventions et d’aides à l’augmentation de la production locale d’uranium d’abord et d’uranium enrichi ensuite dans une moindre mesure. L’ouverture de trois nouvelles mines a ainsi été autorisée l’an dernier, avec une cible de production de 600 tonnes par an.
Pour ce qui est de l’enrichissement, le pays ne compte qu’une seule usine gérée par Urenco. Elle a pour objectif immédiat d’augmenter de 15% ses capacités d’enrichissement pour les porter à 5,7 millions d’UTS ((Unité de Travail de Séparation). En comparaison, l’usine Georges Besse 2 en France d’Orano a une capacité de 7,5 millions d’UTS et prévoit de porter celle-ci à 11 millions d’UTS d’ici 2028.
Les Etats-Unis devront ainsi compter, au moins dans un premier temps, sur des pays alliés comme la France, les plus à même de leur fournir le précieux combustible. Mais souhaitant garantir leur souveraineté, et pour ainsi dire ne pas reproduire les erreurs du passé, Washington vient également de débloquer 2,7 milliards de dollars de crédits gouvernementaux dans le cadre d’un autre texte de loi le « Nuclear Fuel Security Act ». Il s’agit de permettre de construire de nouvelles usines de conversion et d’enrichissement à l’horizon 2030.
La France aussi augmente considérablement ses capacités d’enrichissement et de retraitement
Cette annonce se rapproche de celle faite en France qui ont décidé en mars dernier le lancement d’études pour la construction de deux nouvelles usines à La Hague en Normandie : une première de retraitement du combustible usé afin de ne plus dépendre de la Russie pour disposer d’uranium de retraitement, et une deuxième, plus conventionnelle, de production de combustible recyclé de type Mox.
Quoi qu’il en soit, c’est une mauvaise nouvelle pour Moscou. Après Gazprom dans le gaz naturel, c’est au tour de Rosatom dans le nucléaire, qui dispose des premières capacités d’enrichissement au monde (43%), de perdre définitivement des clients. C’était un atout géopolitique indéniable et pour preuve, jusqu’à aujourd’hui les pays occidentaux n’avaient pris aucune sanction contre le nucléaire russe.
Après la perte progressive de ses clients d’Europe de l’Est, celle de son plus gros client américain est donc un coup dur pour l’industrie nucléaire moscovite. D’autant plus que contrairement à Gazprom, la Russie ne pourra pas compter sur le débouché chinois pour compenser à terme. L’industrie nucléaire chinoise est aujourd’hui la plus dynamique au monde et même une concurrente sérieuse à l’exportation pour son homologue russe.
Ainsi, la France, qui possède 56 réacteurs en service depuis la fermeture des deux de Fessenheim et très bientôt 57 avec l’EPR de Flamanville, a été dépassée très récemment par la Chine devenue le numéro deux mondial du nucléaire civil avec 57 réacteurs en activité et pas moins de 26 en construction… A terme, la Chine devrait devenir la première puissance nucléaire civile avec une centaine de réacteurs opérationnels.
Philippe Thomazo