La consommation électrique française n’est pas uniforme. C’est parfaitement logique. La demande est beaucoup moins importante la nuit que la journée. Mais elle aussi plus faible au cœur de la journée que le matin ou en début de soirée.C’est pour cela que dans les années 1960, à une époque où la consommation électrique explosait avec l’arrivée dans les foyers de l’électroménager et des premiers chauffages électriques, il a été décidé de créer le système des heures creuses. Le principe était simple : limiter les pointes de consommation en décalant un maximum d’usages sur les périodes de faible consommation (notamment la nuit), en offrant des tarifs préférentiels sur ces périodes. Cela permettait d’avoir un principe gagnant-gagnant pour le consommateur tout comme pour le producteur et le gestionnaire du réseau.
Les renouvelables intermittents, surtout le solaire photovoltaïque, ont cassé le marché
Dans la même logique, se sont développés des chauffe-eau équipés d’un système d’asservissement de leur déclencheur. Aujourd’hui ultra majoritaires, ils permettent de déclencher leur chauffe par exemple à partir de 22h au moment où le compteur électrique passe en heure creuse.
Les années ont passé. La consommation électrique a évolué, les heures creuses aussi. Mais nous sommes aujourd’hui face à une évolution inédite liée à l’introduction de la production photovoltaïque dans le mix électrique.
Des centaines d’heures de prix négatifs de l’électricité
Celle-ci a un avantage : être relativement prévisible, contrairement aux régimes de vent de l’éolien, nous pouvons connaître les heures de lever et de coucher du soleil, même s’il y a des variations de l’ensoleillement.
Mais elle a un gros inconvénient : celui d’être au maximum de sa production l’été, quand la consommation est la plus faible, et aussi l’après-midi avec la même conséquence.
Résultat, on a vu apparaître de plus en plus fréquemment sur les marchés de gros de l’électricité des périodes de fortes surproductions principalement les après-midis d’été et les week-end, lorsque l’activité économique est au ralenti. Ces périodes marquées par des déséquilibres entre production et consommation se traduisent par une aberration à savoir des « prix négatifs ». Les producteurs cherchent alors à tout prix à se débarrasser de ce surplus de production, quitte à payer pour cela…
C’est un phénomène inquiétant et récent. Il n’existait pratiquement pas avant 2017, année qui a connu 4 heures de prix négatifs. Cela est passé à 64 heures en 2021, 147 heures en 2023 et déjà autant en 2024 en moins de 5 mois…
Heures creuses d’hiver et heures creuses d’été
Pour y faire face et rétablir l’équilibre production/consommation, la méthode classique est celle dite du « curtailment ». Certaines centrales photovoltaïques et/ou éoliennes sont découplées du réseau à chaque fois que les prix sont égaux ou inférieurs à 0€/MWh. En France cela s’ajoute à la modulation de la puissance de production des réacteurs nucléaires. C’est une solution qui n’a rien de satisfaisant. Elle revient à un gaspillage aberrant d’énergie. Il serait au minimum de 15 TWh d’électricité nucléaire non produite par an pour selon RTE (Réseau de transport d’électricité), ce qui permettrait, par exemple, d’alimenter environ 7 millions de véhicules électriques pendant un an.
Il est donc nécessaire et urgent de bien mieux optimiser le pilotage de la consommation afin de la faire correspondre un peu plus au potentiel de production des actifs installés, avant même de penser à augmenter les capacités existantes. C’est pourquoi la CRE (Commission de Régulation de l’Energie) vient de demander au distributeur Enedis de plancher sur une saisonnalité des heures creuses permettant ainsi de disposer d’heures à faible tarif à des périodes différentes en hiver et en été. Cela permettrait de prendre mieux en compte les différences de consommation et de production selon les saisons.
Une production (éolienne et solaire) et une consommation (chauffage) dictées par la météo
Mais cette solution, certes utile, sera de toute façon très insuffisante. Elle est fondamentalement incapable de s’adapter à une production (solaire comme éolienne) et une consommation (principalement impactée par le chauffage) de plus en plus dictée par la météo du jour, et du coup à même de présenter de gros déséquilibres à n’importe quelle période de l’année.
Du coup, certains proposent la création « d’heures super creuses », qui sur le principe du forfait « tempo » d’EDF permettraient d’annoncer la veille pour le lendemain les heures où l’électricité sera à prix négatifs et donc bradée. L’objectif ? Inciter les consommateurs, notamment particuliers, à décaler un maximum leur consommation vers ces heures là.
Au-delà de sa complexité, ne serait-ce que pour le consommateur pour être informé et changer ces habitudes, ce pilotage fin pose aussi un certain nombre de difficultés techniques. Mais il peut offrir, en théorie, une flexibilité indispensable pour optimiser les usages électriques et donc limiter les investissements coûteux, autant en termes de capacités de production que de réseau.
Mieux utiliser l’existant en période de sous-consommation pour limiter les périodes de surconsommation est un enjeu majeur des années à venir. Commencer le plus vite sera le mieux.
Philippe Thomazo