Difficile à croire, mais les prix à court terme de l’électricité en France se sont effondrés. La semaine dernière, le prix du MWh (mégawatt heure) se situait autour de 13 euros à comparer à 71 euros en Allemagne et 68 euros aux Pays-Bas. Pour le mois de mai 2024, le contrat d’électricité français se négocie moitié prix par rapport à son équivalent allemand.
Tout cela à la suite d’un parfait alignement des planètes. Les températures sont anormalement douces, bien au-dessus des normales saisonnières, la demande d’énergie en général et d’électricité en particulier reste déprimée et dans le même temps la production a continué à se redresser et est devenue largement excédentaire. Une quarantaine de réacteurs d’EDF sont branchés au réseau et du côté des renouvelables certains barrages remplis sont contraints de faire de la place pour accueillir l’eau de la fonte des neiges et des précipitations abondantes et même les éoliennes produisent sans discontinuer.
Gesticulations politiques et redressement rapide de la production
La situation est tellement excédentaire que les interconnexions avec les autres pays européens tournent à plein régime et les exportations atteignent des niveaux records… Le chemin parcouru en moins de deux ans est spectaculaire et inespéré. Rappelons qu’en 2022 la France, le plus important exportateur d’électricité en Europe depuis des décennies, s’est retrouvée pour la première fois importateur net. Les politiques se sont alors agités, ont organisé une Commission d’enquête parlementaire sur la « perte de souveraineté » énergétique de la France et mis en place une réforme de la tarification de l’électricité… Des gesticulations assez inutiles. Dès 2023, la France est redevenue le premier exportateur européen, avec un solde positif de 50 TWh.
Pour donner un ordre de grandeur, les besoins liés à l’électrification presque totale des transports terrestres sont estimés entre 75 et 100 TWh par an par RTE (Réseau de Transport d’Electricité). A demande équivalente dans les autres domaines (industrie, chauffage), les excédents de production de l’année 2023 seraient donc déjà suffisants pour couvrir l’électrification d’au moins la moitié du parc motorisé du pays. Mais ce résultat a été obtenu tandis que la production était encore dégradée. Le parc nucléaire français n’a produit que 320 TWh l’an dernier, loin de ses performances d’avant la crise quant à parc équivalent elle tournait autour de 400 TWh par an.
Records d’exportations
Cela explique pourquoi le scénario est devenu encore plus « favorable » au début de l’année 2024. Au cours du premier trimestre, les chiffres montrent une consommation qui tend à se stabiliser par rapport à l’année précédente (127 TWh contre 128 TWh en 2023 sur la même période), mais des exportations qui affichent déjà un niveau de presque 20 TWh. Cela tient à la progression de production des parcs nucléaire (95 TWh en 2024 contre 83 TWh à la même date l’an dernier) et hydroélectrique (20 TWh contre 12 TWh en 2023). A tel point que face à cette production surabondante, les marchés spots, qui sont ceux de l’électricité en intra-journalier, sont pour la première fois de l’histoire passés négatifs certains week-end du mois de mars. Cela signifie que l’offre était tellement abondante par rapport à la demande qu’elle n’avait plus aucune valeur.
Augmentation de la disponibilité du nucléaire, de la production renouvelable, consommation stagnante, multiplication des interconnexions (comme celle mise en service récemment entre la France et l’Italie) et arrêt du nucléaire en Allemagne, créant un nouveau débouché, la France est partie pour battre tous ces records d’exportations nettes d’électricité cette année. L’objectif de 75 TWh semble tout à fait atteignable. La France est ainsi aujourd’hui la plaque tournante de l’électricité européenne reliée à 6 pays en attendant le raccordement de l’Irlande en 2027.
Qui bénéficie de cet atout ?
Mais faut-il encore que le pays puisse profiter de cet atout. Il devrait se traduire par des gains de compétitivité pour les entreprises, d’allégements budgétaires pour les collectivités et de redressement de leur pouvoir d’achat pour les ménages français. Mais c’est encore loin d’être le cas. Le contrat à terme pour les entreprises pour 2025 se négocie aujourd’hui en moyenne autour de 71 euros le MWh contre 78 euros outre-Rhin. Un avantage limité. La faute à un mode de calcul qui lisse les hausses sur le temps long, mais qui en échange n’est pas très réactif à la baisse.
Et pour les ménages, la situation s’est même dégradée depuis le début de l’année. La faute à l’incohérence et l’amateurisme fiscal du gouvernement qui taxe plus aujourd’hui l’électricité produite en France et décarbonée que le gaz importé et émetteur de CO2 !
Philippe Thomazo