La crise énergétique qui a profondément secoué l’Europe après l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la fin des importations massives de gaz russe a coûté des centaines de milliards d’euros aux pays européens. La guerre entre Israël et le Hamas et ses conséquences sur le trafic maritime de la mer rouge avec les attaques incessantes des Houthis contre les navires posent aussi un problème, certes moins grave, sur l’approvisionnement en gaz. Les méthaniers doivent se détourner et le Qatar a averti qu’il aura du mal à assurer les livraisons prévues de GNL (Gaz naturel liquéfié). Une mauvaise nouvelle ne venant jamais seule, l’administration américaine vient de décider d’un moratoire sur des projets de nouveaux terminaux de GNL accusés d’émettre beaucoup de CO2. Eurogas, une association de 77 acteurs européens du gaz, a exhorté en vain Washington à éviter une « interdiction ou limitation inutile… Cela risquerait d’accroître et de prolonger le déséquilibre de l’offre au niveau mondial ».
Une sécurité d’approvisionnement soumise aux soubresauts géopolitiques
Les stocks de gaz étant abondamment remplis en Europe et l’hiver ayant été à nouveau clément, le risque de pénurie n’existe pas aujourd’hui et dans les mois qui viennent. Les cours ont même fortement reculé. D’autant plus que la consommation de gaz a sensiblement baissé au cours des deux dernières années en Europe en général et en France en particulier. Mais cela ne doit pas faire illusion. Le continent est toujours dépendant d’importations de gaz coûteuses et affectées par l’environnement géopolitique. Et cela ne devrait pas changer avant de très nombreuses années. C’est la conséquence de la transition vers les renouvelables intermittents (éolien et solaire) dont les centrales à gaz sont le complément idéal pour stabiliser les réseaux électriques. Cela permet aussi de remplacer, enfin, les centrales à charbon, notamment en Allemagne, par des centrales à gaz.
Ce n’est pas pour rien si le Parlement européen a adopté l’an dernier un texte controversé considérant que le gaz naturel comme l’énergie nucléaire étaient des sources d’énergie de transition… Maintenant si la réduction des émissions de gaz à effet de serre reste officiellement la priorité des priorités de la politique européenne, la sécurité d’approvisionnement est dans les faits encore plus importante. Quant à l’approche de l’hiver 2022-2023, les craintes de pénuries de gaz et d’électricité étaient grandes, la plupart des pays européens n’ont pas vraiment hésité à faire tourner à plein leurs centrales à charbon. Pour éviter cela, les renouvelables intermittents n’offrent pas une solution satisfaisante du fait justement de leur intermittence. Elle se manifeste notamment lors des pics de consommation en hiver, quand il fait froid et qu’il y a peu de vent et peu d’ensoleillement.
Quatre nouvelles centrales à gaz de 2,5 GW chacune en Allemagne
Le nucléaire peut être une réponse, mais elle est rejetée violemment pour des raisons avant tout idéologiques par de nombreux pays européens, dont l’Allemagne, et de toute façon ne peut pas être une solution rapide. Il faut plus d’une décennie pour construire une centrale nucléaire. Il reste… le gaz. Voilà pourquoi le mois dernier l’Allemagne a annoncer des aides publiques à hauteur de 16 milliards d’euros pour lancer rapidement la construction de quatre très grandes centrales à gaz d’une capacité de 2,5 GW chacune. Les apparences sont sauves. Elles pourront théoriquement se convertir à l’hydrogène à partir de 2035… Et l’Autriche, pays enclavé qui reste extrêmement dépendant des importations de gaz russe, a annoncé avoir fait la plus importante découverte sur son sol d’un gisement de gaz depuis quatre décennies. Il pourrait lui permettre d’augmenter sa production domestique de 50%.
Dépendance au GNL américain
Depuis deux ans, l’Europe est devenue de fait dépendante du GNL américain et dans une moindre mesure qatari. Les Etats-Unis sont ainsi devenus l’an dernier le premier exportateur mondial de GNL doublant le Qatar. Ils ont battu en 2023 leur record d’exportations de GNL à 91,2 millions de tonnes et sont devenus pour la première fois le premier exportateur mondial. La majorité des exportations américaines de GNL en 2023 a été expédiée vers les Pays-Bas, c’est-à-dire en fait l’Allemagne, puis le Royaume-Uni et la France. Les exportations américaines de GNL ont assuré 47% des importations européennes l’an dernier et déjà 43% en 2022. Les États-Unis n’ont pourtant rejoint le marché des exportations de GNL qu’en 2016 pour écouler leur production nationale surabondante de gaz de schiste.
Les importations européennes de GNL ont totalement transformé ce marché. « L’Europe façonne les marchés mondiaux du gaz, les prix des plates-formes européennes fixent les prix au comptant du GNL à l’échelle mondiale », écrit le cabinet McKinsey. Illustration, TotalEnergies a signé en octobre dernier avec le Qatar deux accords majeurs d’approvisionnement en GNL pour une durée… de 27 ans