Le Gaz naturel liquéfié (GNL) est devenu en deux ans la bouée de sauvetage énergétique de l’Europe pour remplacer le gaz russe victime de l’invasion de l’Ukraine et des sabotages des gazoducs NordStream 1 et NordStream 2. Au point que les investissements dans le monde pour construire de nouveaux équipements de production de GNL, au Qatar, aux Etats-Unis, en Australie, en Arabie Saoudite, aux Emirats arabes unis et à Oman… atteignent des niveaux records. Non seulement, il faut satisfaire les besoins grandissants de l’Asie, et plus particulièrement de la Chine, du Japon et de l’Inde, mais aussi maintenant ceux de l’Europe.
Un moratoire aux Etats-Unis sur les nouveaux projets de terminaux GNL
Ainsi, selon l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis 64 millions de tonnes de capacités supplémentaires de liquéfaction annuelle seront mises en service dans les années à venir. D’ici 2027, le Qatar va faire passer sa capacité de production de 77 à 126 millions de tonnes de GNL, une augmentation de 64%. Les Etats-Unis doivent se doter rapidement de 38 millions de tonnes supplémentaires de capacités de production annuelle après avoir battu l’an dernier leur record d’exportations à 91 millions de tonnes. Il n’y a pas de précédent à une telle rapidité dans l’histoire de l’industrie mondiale du gaz. Et dans le même temps, l’Europe va considérablement augmenter ses capacités de regazéification, de largement plus de 50 millions de tonnes par an d’ici 2027 d’après une étude du cabinet Wood Mackenzie.
La stratégie énergétique allemande et celle prônée et même imposée depuis des années par les institutions européennes a consisté à remplacer les centrales à charbon et même les centrales nucléaires, qui produisent pourtant l’électricité la plus décarbonée qui soit, par des renouvelables intermittents, éoliennes et solaires, et des centrales à gaz pour générer de l’électricité quand il n’y a pas de vent et de soleil. L’objectif annoncé est de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Sauf qu’avec le GNL, les choses se compliquent.
Au point que l’administration Biden vient de décider d’imposer sur le sol américain un moratoire sur les nouveaux de projets de développement du GNL. Tout cela après qu’en décembre dernier, 170 climatologues aient signé un appel demandant au président Joe Biden de stopper tous les projets de construction de nouveaux terminaux d’exportation de GNL, en particulier dans le golfe du Mexique. Leur argumentation repose sur le fait que le gaz liquéfié serait en réalité « au moins 24% plus néfaste pour le climat que le charbon ». Ce chiffre est tiré d’une étude très récente de la Cornell University.
Emissions liées au cycle de production et d’utilisation du gaz liquéfié
Elle conclut que le problème du GNL n’est pas celui de la consommation de gaz naturel, mais les émissions associées au cycle de production et d’utilisation du gaz naturel liquéfié. Les calculs d’émissions carbone des scientifiques de Cornell University prennent en compte les émissions de dioxyde de carbone résultant du processus de liquéfaction, qui nécessite de refroidir le gaz naturel à des températures extrêmement basses, une opération qui consomme beaucoup d’énergie. Un autre problème qu’ils mettent en avant est celui du méthane libéré lors de l’extraction du gaz naturel.
Le méthane est un gaz à effet de serre extrêmement puissant. Bien qu’il se décompose beaucoup plus rapidement dans l’atmosphère que le dioxyde de carbone, son pouvoir de réchauffement est 80 fois supérieur à celui du CO2 sur une période de 20 ans. Des études se sont multipliées au cours des derniers mois soulignant que le gaz naturel produit bien plus de méthane qu’on ne le pensait au cours de son cycle de vie.
« Dans tous les scénarios envisagés, pour tous les types de méthaniers utilisés pour le transport du GNL, les émissions en amont dépassent les émissions de dioxyde de carbone provenant de la combustion finale du GNL. De même, dans tous les scénarios envisagés, les émissions totales de méthane non brûlé dépassent les émissions de dioxyde de carbone provenant de la combustion finale du GNL », écrit Robert W. Howarth, l’auteur de l’étude et Professeur à Cornell University.
Des conclusions contestées
Ces conclusions sont contestées par d’autres experts. « La situation est plus compliquée que cela, affirment de nombreux chercheurs qui étudient la teneur en carbone des combustibles. Le gaz – et les exportations de GNL en particulier – contribuent très probablement davantage au réchauffement de la planète qu’on ne le pensait, mais elles peuvent encore réduire les émissions de gaz à effet de serre par rapport au charbon dans certains cas », écrit la revue Scientific American.
Scientific American met notamment en avant une étude de 2022 publiée par The Environmental Research Letters. Elle estime que l’utilisation accrue du GNL est incompatible avec la limitation de l’augmentation de la température mondiale à 2 degrés Celsius ou moins. Mais l’étude montre tout de même que le GNL pourrait contribuer à éviter une hausse des températures supérieure à 3 degrés Celsius en empêchant une consommation supplémentaire de charbon.