C’est une évolution logique et attendue. La progression des ventes de véhicules électriques doit finir par ralentir et ne peut pas augmenter de 50 à 100% tous les ans. Le problème est que le ralentissement intervient bien plus tôt que prévu un peu partout dans le monde. Cela contraint les constructeurs automobiles a des ajustements difficiles de stratégies et de capacités et rend encore plus irréalistes les objectifs gouvernementaux de conversion à marches forcées des motorisations thermiques vers l’électrique.
La première vague qui a vu la croissance fantastique des ventes de véhicules électriques a été portée par les adeptes de la nouveauté, les passionnés de technologie, le marqueur social que représente pour certains le passage à la motorisation électrique, de généreuses subventions gouvernementales et la conversion de flottes d’entreprises.
Convaincre une clientèle plus réticente
La deuxième phase est plus compliquée. Il s’agit de convaincre des conducteurs plus soucieux de leur budget, moins enthousiastes à l’égard de la technologie et pas vraiment convaincus de l’intérêt d’acheter des véhicules plus chers que des voitures thermiques équivalentes tout en offrant moins de facilités d’usage. En moyenne, les véhicules tout électriques sont respectivement 30% plus chers en Europe et 27% aux États-Unis que leur équivalent thermique. Les subventions et aides diverses qui ont grandement contribué à stimuler les ventes se tarissent en Europe, et dépendent aux États-Unis du fait que les véhicules soient fabriqués sur le sol américain ce qui réduit considérablement l’éventail de l’offre.
Enfin, certains consommateurs restent toujours préoccupés par la disponibilité des infrastructures de recharge et l’autonomie des batteries. Les progrès technologiques sans cesse annoncés des batteries finissent pas être contre productifs et amènent les automobilistes à reporter leurs achats en attendant que les nouvelles technologies soient sur le marché.
La question reste posée. Est-ce un marché devenu mature où est-il toujours en partie artificiel du fait à la fois des subventions et des aides dont bénéficient les acheteurs, et des contraintes et pénalités infligées aux utilisateurs de véhicules thermiques et aux constructeurs qui ne basculent pas vers l’électrique.
Tesla et BYD sanctionnés par la Bourse
Illustration du ralentissement en cours, plusieurs constructeurs ont baissé à de multiples reprises l’an dernier les prix de leurs voitures électriques pour tenter de conserver des parts de marché, à commencer par l’américain Tesla. Et plusieurs ont également réduit leurs investissements dans la motorisation électrique, en termes de capacités comme de personnel.
Le mois dernier, Tesla a annoncé prévoir cette année un taux de croissance de ses ventes « nettement inférieur » à ce qu’il a été. L’action a plongé immédiatement. Le chinois BYD qui a surpassé Tesla et devenu le numéro mondial du véhicule électrique est confronté au même problème. Il a annoncé des résultats préliminaires décevants affectés par la guerre des prix qui fait rage sur le marché chinois. Les actions BYD ont aussi fortement baissé. Les constructeurs dits traditionnels sont aussi confrontés aux mêmes difficultés. General Motors n’a pas atteint l’an dernier son objectif de production de véhicules électriques et a reporté ses projets d’expansion de la production de camionnettes électriques. Volvo, filiale du chinois Geely, a annoncé il y a quelques jours cesser de financer Polestar, sa filiale spécialisée dans les voitures de sport électriques.
Recul attendu du marché allemand des véhicules électriques
Selon les prévisions de BloombergNEF (Bloomberg New Energy Foundation), les ventes dans le monde de véhicules entièrement électriques et hybrides rechargeables ont plus que doublé en 2021, fortement progressé de 62% en 2022 et de 31% l’année dernière. Bloomberg NEF pronostique un nouveau ralentissement cette année avec une croissance mondiale de 21%. En Allemagne, premier marché automobile européen, les ventes de véhicules électriques devraient même baisser de 14% cette année selon les projections du VDA, l’association allemande des constructeurs. La première baisse depuis 2016 du fait notamment de la décision prise en décembre dernier par le gouvernement fédéral de réduire sensiblement les subventions à l’achat. Cela rend quasiment impossible pour le même gouvernement d’atteindre l’objectif qu’il s’est fixé d’avoir 15 millions de véhicules électriques sur les routes en 2030. En novembre dernier, il y avait un million de véhicules purement électriques immatriculés en Allemagne.
Si l’Allemagne est sans doute un cas extrême, tous les marchés de véhicules électriques rencontrent des difficultés. A commencer par le premier d’entre eux, le marché chinois. Les subventions massives distribuées depuis une décennie en Chine aux constructeurs et aux acheteurs de véhicules électriques ont permis de créer une industrie très compétitive et le marché de très loin le plus important. Il représentait l’an dernier 59% des 13,8 millions de véhicules rechargeables non commerciaux vendus dans le monde, l’Europe représente 23% et l’Amérique du Nord 12%. Et pour obtenir ce résultat spectaculaire, la Chine aura dépensé plus de 200 milliards de yuans, près de 30 milliards de dollars, en aides et subventions directes entre 2009 et 2022.
Les constructeurs chinois condamnés à l’exportation
Mais la croissance du marché automobile chinois des voitures électriques va continuer à ralentir en 2024 pour la deuxième année consécutive. Selon l’Association chinoise des constructeurs, les livraisons de véhicules électriques à batterie et d’hybrides rechargeables devraient augmenter de 25% pour atteindre 11 millions d’unités cette année. Elles ont augmenté de 36% en 2023 et de 96% en 2022, la dernière année où le gouvernement a accordé des subventions nationales pour les voitures électrifiées.
Pour compenser le ralentissement de leur marché national, les constructeurs chinois se ruent sur les marchés étrangers. Leurs exportations d’automobiles ont bondi de 62% l’année dernière. Ce qui ne va pas sans créer des frictions. L’Union européenne a lancé en octobre dernier une enquête pour dumping par le gouvernement chinois de son industrie automobile électrique.