Les Zones à faibles émissions (ZFE) étaient considérées comme un instrument majeur de la politique du gouvernement pour contraindre les automobilistes français à moins utiliser leurs véhicules anciens à moteurs thermiques dans toutes les agglomérations. Le ministre de la Transition énergétique, Christophe Béchu, en était un fervent et inconditionnel partisan. Mais c’est aussi de fait une forme aigüe de ségrégation sociale et géographique. La France périphérique – celle de la « clope et du diesel » pour reprendre l’expression en 2018, lors de la crise des Gilets jaunes, de Benjamin Griveaux alors porte-parole du gouvernement – se voit en quelque sorte assignée à résidence. L’ancien député socialiste de Gironde Gilles Savary, auteur du livre La Ville inaccessible, va jusqu’à qualifier les ZFE « d’apartheid socio-territorial ». Il explique que «la ville va y gagner en tranquillité publique, en convivialité et en qualité de vie au bénéfice exclusif des résidents aisés, dans la plus souveraine indifférence à l’égard des visiteurs extérieurs dont la plupart assurent quotidiennement le fonctionnement ».
Gagner du temps
Et tout cela pour des gains finalement relativement limités. L’objectif annoncé, réduire la pollution atmosphérique, n’est pas contestable. Mais l’efficacité de la méthode l’est. Ce qu’a démontré de façon spectaculaire, et passée inaperçue, l’année 2020 quand des pics de pollution ont été enregistrés pendant les périodes de confinement… Il y a eu trois alertes aux particules fines en 2020 en Ile-de-France, dont deux pendant les périodes de confinements marquées par une très forte baisse de la circulation automobile. Rappelons que les émissions les plus dangereuses pour la santé, celles de particules fines, ne sont liées que de façon minoritaire à la circulation routière (entre 25 et 34% en Ile-de-France et entre 13 et 15% dans le reste du pays).
Les ZFE devaient exclure dans un peu plus d’un an plus de 40% des automobilistes, les plus modestes, des agglomérations de plus de 150.000 habitants et plus de 70% deux années plus tard… Mais les craintes sur les conséquences politiques et sociales de la mise en place autoritaire de ses zones grandissent. En dépit des engagements répétés de ne pas revenir sur cette mesure d’écologie punitive, le gouvernement et les collectivités locales ne cessent de reculer et de gagner du temps. Il n’y a que dans certaines très grandes villes et métropoles, à commencer par Paris, que les municipalités ne se préoccupent pas vraiment de la ségrégation sociale qui ne concerne pas leurs électeurs potentiels…
Pas de radars pour sanctionner les contrevenants
Ainsi, les ZFE existent et vont continuer à se répandre sur le territoire. Mais pas les moyens de contrôler et sanctionner les contrevenants… une façon de contourner l’obstacle. En tout cas, l’arrivée des radars automatiques pour contrôler via les plaques d’immatriculation le bon respect des zones à faibles émissions vient d’être encore repoussée à la fin de l’année 2025. L’échéance initiale était fixée à l’origine, lors du vote de la loi instaurant les ZFE en 2020. Repoussée régulièrement, elle se trouvait entre fin 2024 et début 2025. Mais elle vient d’être encore décalée de quelques mois, à fin 2025 désormais. La faute, selon Christophe Béchu, à la procédure nouvelle d’homologation des radars. Un prétexte bien commode…
Les contrevenants s’exposeront à une amende de classe 4 sur les cinq échelons d’amendes en France. Cela se traduit par 135 euros. Elle peut être minorée à 90 euros ou majorée à 375 euros (300 euros en cas de paiement dans les 30 jours). Au maximum, elle peut atteindre 750 euros. Et le nombre d’amendes devrait exploser avec la mise en place de radars automatiques. Ils permettront de verbaliser les contrevenants dès lors qu’ils franchissent « la frontière » d’une ZFE.
Un calendrier incompréhensible
Déjà, le 10 juillet dernier, le Comité Ministériel de la Qualité de l’Air en Ville, énième Comité ad-hoc…, avait décidé que seules les agglomérations « dépassant de manière régulière » les seuils réglementaires de qualité de l’air devaient appliquer des mesures restrictives de circulation des véhicules. Ce qui signifiait que les restrictions liées aux ZFE étaient dans un premier temps limitées en 2024 et 2025 aux voitures anciennes dans cinq métropoles : Lyon, Marseille, Paris, Rouen et Strasbourg. Ces agglomérations ont pour obligation de bannir les voitures diesel de plus de 18 ans au 1er janvier 2024 (Crit’Air 4) et les voitures diesel de plus de 14 ans et les voitures essence de plus de 19 ans au 1er janvier 2025 (Crit’Air 3). Cela correspond, selon une étude menée par Aramis, à pas moins de 40% du parc automobile actuel français… Jusqu’à fin 2025, les contrevenants ne risquent rien. Et qui sait, l’installation des radars pour les sanctionner sera peut-être encore repoussée.
D’autant plus que la profusion de textes plus ou moins contradictoires, la maladie française, rend le calendrier difficilement compréhensible. Il y a d’abord eu la loi LOM (loi d’orientation des mobilités), de décembre 2019. Elle a rendu obligatoire la création d’une ZFE dans 10 métropoles (Lyon, Grenoble, Métropole du Grand Paris et Paris, Aix-Marseille-Provence, Nice-Côte d’Azur, Toulon-Provence-Méditerranée, Toulouse, Montpellier-Méditerranée, Strasbourg et Rouen-Normandie). Puis est venue s’ajouter la loi Climat et Résilience d’août 2021. Elle a étendu les ZFE aux agglomérations de plus de 150.000 habitants au nombre de 43. Elles avaient l’obligation de mettre en place une ZFE «au plus tard au 31 décembre 2024»… sauf pour les villes où la pollution dépasse les seuils limites, auquel cas, l’interdiction des Crit’Air 5 devait commencer en 2023, Crit’Air 4 en 2024 et Crit’Air 3 en 2025. Mais il existait déjà des possibilités de dérogations prévues par un décret. Les élus locaux peuvent, sous certaines conditions, définir leur propre calendrier, le périmètre de la zone, les niveaux de restrictions et les possibilités de dérogations. Et tout cela avant que seules les cinq métropoles « dépassant de manière régulière » les seuils réglementaires de qualité de l’air, à savoir Lyon, Marseille, Paris, Rouen et Strasbourg, doivent appliquer des mesures restrictives de circulation des véhicules…