Depuis plusieurs années, la Chine n’a eu de cesse de tenter de s’immiscer dans le club très fermé des pays possédant les compétences nécessaires à la production d’énergie électro-nucléaire. Grâce à des partenariats avec des occidentaux, dont EDF, les industriels ont acquis la majeure partie des compétences leur permettant de développer un design local, très inspiré des réacteurs européens.
Mais la simple maîtrise locale de la chaîne de valeur n’était pas leur seul objectif. La CGN (China Général Nuclear corp) s’est investie dans un certain nombre de projets, devenant actionnaire minoritaire de la centrale d’Hinkley Point C au Royaume-Uni. Cette centrale sera constituée de deux EPRs en construction sous la maîtrise d’œuvre d’EDF (voir le schéma ci-dessus). Il était aussi envisagé de confier la construction de futurs réacteurs britanniques à la seule maîtrise de l’entreprise chinoise.
EDF seul face au risque financier des deux EPR d’Hinkley Point
Mais le refroidissement des relations entre la Chine et les pays occidentaux, sur fond d’accusations d’espionnage industriel, a entraîné le bannissement des entreprises chinoises dans un certain nombre de secteurs sensibles comme les communications… et le nucléaire. Du coup, l’idée un temps évoquée, de s’appuyer à nouveau sur la CGN afin de participer au tour de table financier pour la construction d’une nouvelle paire d’EPR dans la centrale nucléaire de Sizewell a été abandonnée l’an dernier. Le groupe chinois n’en restait pas moins un acteur majeur du projet d’Hinkley Point… Jusqu’à son retrait il y a quelques jours, en forme de mesure de rétorsion.
Pékin laisse ainsi EDF seul face aux risques liés à ce chantier dont les errements, en termes de retards et d’explosion des coûts, ne sont pas sans rappeler ceux de l’EPR de Flamanville. Le coût initial du projet Hinkley Point était évalué à 16 milliards de livres en 2016 lors du lancement du chantier. Il est passé à plus de 25 milliards de livres et même 32,7 milliards de livres selon une évaluation d’EDF au début de l’année. Un cauchemar qui contraint déjà l’énergéticien public français à investir 5 milliards d’euros par an. Mais porter seul l’énorme risque financier, EDF n’en est tout simplement pas capable. L’entreprise publique surendettée a connu une année 2022 catastrophique avec une perte historique de 17,9 milliards d’euros et a dû être renationalisé à 100% pour lui éviter une quasi-faillite.
Bras de fer entre Paris et Londres
Des négociations tendues ont donc commencé entre Paris et Londres afin de trouver une solution permettant de sortir de l’impasse financière créée par le retrait chinois. Et les positions de départ sont totalement opposées. Le gouvernement français considère que Londres, en ne voulant plus de la Chine comme partenaire, a une part de responsabilité dans le retrait du groupe CGN. Le gouvernement britannique, de son côté, n’a jamais envisagé d’investir dans le projet d’Hinkley Point, à la différence de celui de Sizewell dans lequel il a accepté d’emblée d’engager des fonds publics.
Pour EDF et Paris, il est impératif de circonscrire et limiter le risque financier lié au chantier d’Hinkley Point pour permettre au groupe public de lancer d’autres projets essentiels, que ce soit les 3 paires d’EPR2 à construire en France et aussi la paire d’EPR de Sizewell. La marge de manœuvre britannique est sur le plan technique encore plus limitée que celle de la France pour renouveler son parc nucléaire constitué majoritairement de réacteurs de technologie ancienne dite AGR, refroidis au gaz, très différents des réacteurs à eau pressurisée français, et qui approchent de leur fin de vie.
Après la faillite de la stratégie de dépendance allemande envers le gaz russe, l’alliance nucléaire entre le Royaume-Uni et la Chine apporte une nouvelle fois la preuve que dans le domaine de l’énergie les questions de souveraineté ne peuvent pas être longtemps ignorées. L’Allemagne en a fait les frais avec Gazprom, la Grande-Bretagne le découvre dans le nucléaire avec la CGN. Et EDF pourrait en faire les frais…
Philippe Thomazo