Le cartel pétrolier élargi Opep+, qui regroupe les 13 pays de l’Opep historique (Organisation des pays exportateurs de pétrole) menés par l’Arabie Saoudite et leurs dix alliés menés par la Russie, vient de connaître une semaine difficile. Sous pression à la COP28, les pays du cartel ont dû finalement admettre que le monde allait devoir se passer des hydrocarbures. Et dans le même temps, leur tentative de contrôle du marché pétrolier par la raréfaction de l’offre, qui a réussi pendant quelques mois, a finalement échoué et les cours du baril sont tombés à leur plus bas niveau depuis six mois.
Suicide économique programmé et annoncé
Le communiqué final d’une COP n’a, contrairement à ce que veulent faire croire les très nombreux participants à ce Barnum devenu annuel et bon nombre de médias, qu’une portée limitée. Ce n’est qu’une déclaration d’intention qui, il est vrai, à défaut d’être contraignante a tout de même un impact symbolique. Et l’Opep+ a ainsi dû en quelque sorte accepter publiquement d’annoncer un suicide économique, à savoir la transition programmée vers la fin des hydrocarbures. C’est tout de même une réelle défaite pour une organisation dont la seule vocation est de défendre les intérêts et les recettes des pays producteurs de pétrole.
Le texte final appelle ainsi à « transitionner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action dans cette décennie cruciale, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques ». Le terme exact anglais employé est celui de « transitioning away ». Il n’est plus question de « sortie » du pétrole, du gaz et du charbon, pour ménager les susceptibilités, mais cela revient au même. A ce jour, seule la « réduction » de consommation du charbon avait été actée lors de la COP26 à Glasgow, mais le pétrole et le gaz n’étaient alors même pas mentionnés.
Des records cette année de consommation dans le monde de charbon et de pétrole
Le plus étonnant est que les uns et les autres, à commencer par la ministre française de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, aient été surpris et se soient même offusqués des réticences des pays de l’Opep+ à signer un texte qui annonce la fin du modèle économique qui a fait leur prospérité et leur puissance… Les pays de l’Opep, à commencer par l’Arabie Saoudite, dépendent presque exclusivement des recettes de leurs exportations de pétrole et de gaz pour alimenter leurs budgets. Ils ne sont pas prêts d’y renoncer… Et de toute façon, le reste du monde n’est pas prêt non plus à renoncer à leur en acheter.
Entre les engagements, les déclarations solennelles et la réalité, il y a une marge et même parfois un fossé. Les combustibles fossiles ont représenté l’an dernier 82% de la consommation d’énergie primaire dans le monde et leur déclin annoncé va s’étaler sur des décennies. Cette année sera encore marquée par des records de consommation mondiale de charbon et de pétrole et la Chine comme l’Inde, les deux pays de loin les plus peuplés de la planète, ont laissé clairement entendre qu’ils n’avaient pas l’intention de renoncer aux carburants fossiles, y compris au charbon, avant de nombreuses décennies. L’évolution de la consommation mondiale de fossiles est entre leurs mains et à terme dans celles des pays africains.
Plus de 20% de baisse des cours du pétrole en trois mois
Le doute existe d’autant plus, que de nombreux groupes et pays pétroliers et gaziers font le pari que l’objectif annoncé après cet insoutenable suspense à la COP28 restera des mots. Car les investissements dans les hydrocarbures ne faiblissent pas. Le paysage pétrolier mondial est même de ce fait en train de changer rapidement. De nouveaux pays producteurs émergent, notamment le Guyana, le Brésil et plus récemment encore la Namibie. En à peine quatre ans, le Guyana est passé de l’annonce de la découverte de pétrole à être le pays dont la croissance économique a été l’an dernier la plus forte au monde (+62%). Et la Namibie compte bien faire de même. Quant au Brésil, il ambitionne tout simplement de devenir le quatrième producteur mondial de pétrole derrière les Etats-Unis, la Russie et l’Arabie Saoudite.
Les grandes manœuvres se multiplient aussi depuis des semaines dans l’industrie pétrolière américaine. Après l’acquisition pour 64,5 milliards de dollars (y compris les dettes) de Pioneer Natural Resources par ExxonMobil, c’est maintenant au tour de Chevron de mettre la main sur Hess pour 60 milliards de dollars (y compris les dettes). A chaque fois la logique est la même, permettre aux majors de mettre la main sur des ressources supplémentaires rapidement exploitables.
Dans le domaine du gaz naturel et plus particulièrement du gaz naturel liquéfié (GNL), coup sur coup, le Français TotalEnergies et l’Italien ENI viennent de signer avec le Qatar des contrats d’approvisionnements… de 27 ans. L’Institut des études économiques du Japon vient de sortir une étude montrant que la transition énergétique va nécessiter d’ici 2050 des investissements considérables dans le gaz naturel pour remplacer le charbon et équilibrer les réseaux électriques alimentés massivement par des renouvelables intermittents (éolien, solaire). Ils sont estimés à 7.000 milliards de dollars d’ici 2050…
Reste qu’il faudra rentabiliser ses investissements. Ce qui avec les cours actuels du baril de pétrole ne sera pas évident. Car l’ambition du cartel Opep+ de contrôler les prix sur le marché pétrolier et de les maintenir à plus de 80 dollars a clairement échoué. Les cours sont tombés le 13 décembre à moins de 73 dollars pour la qualité Brent et 68 dollars pour le WTI (West Texas Intermediate). Des baisses de respectivement 22% et 24% par rapport à fin septembre quand le baril de Brent avait dépassé 94 dollars et celui de WTI 90 dollars.
Le reflux des cours du pétrole a deux raisons essentielles. La crainte persistante de l’inflation et surtout du ralentissement de la demande, notamment en Chine, et l’augmentation rapide de la production de pays extérieurs à l’Opep+ à savoir les Etats-Unis, le Brésil et le Guyana. Sur l’ensemble de l’année et d’après le ministère américain de l’énergie, la production américaine de pétrole devrait battre tous ses records et atteindre en moyenne près de 13 millions de barils par jour, soit un million de barils de plus qu’en 2022.
Dans le même temps, l’Opep+ a atteint les limites de ce que les pays producteurs sont prêts à accepter comme diminution volontaire de production et donc de revenus, surtout quand en plus les prix baissent. L’Arabie Saoudite et la Russie, respectivement troisième et deuxième producteurs mondiaux derrière les Etats-Unis, ont annoncé s’en tenir au début de l’année prochaine à une réduction de 1,5 million de barils par jour de leur production et au total pour l’OPEP+ a une baisse de 2,2 millions de barils par jour. C’est-à-dire exactement la même situation qu’aujourd’hui.