Le réveil annoncé, après la pandémie de Covid 19 et la soudaine découverte des conséquences de la perte européenne de souveraineté industrielle, n’a pas eu lieu. Le baromètre des investissements industriels mondiaux publié le 11 décembre par le cabinet de recherche Trendeo, le groupe d’ingénierie Fives, McKinsey et l’Institut de la réindustrialisation, est un dur rappel à la réalité. La réindustrialisation ne se décrète pas… La « mère de toutes les batailles », selon les propres mots d’Emmanuel Macron prononcés en mai dernier dans un entretien à Challenges, se gagne avant tout avec un ensemble de conditions favorables à la fois financières, économiques, humaines et culturelles. Créer un écosystème pérenne et dynamique ne se décide pas par un gouvernement ou une institution internationale. La reconstitution des filières et des savoir-faire sont des processus longs et complexes.
Le constat fait par le Président de la République était incontestable : « le rapport à l’industrie est une bonne partie de l’explication du mal français… Réindustrialiser, c’est créer du pouvoir d’achat, financer notre modèle social, construire un avenir pour nos enfants, attirer l’innovation et les talents de tous les secteurs, réduire le déficit du commerce extérieur. Et puis, bien sûr, stopper le décrochage de cette France des territoires. Cette bataille est économique, mais aussi identitaire pour notre pays. Elle fait partie d’une projection française, qui permet de restaurer l’unité territoriale du pays et une histoire de progrès. L’inverse d’une nostalgie. » A défaut d’être une nostalgie, la réindustrialisation est pour le moment un vœu pieu.
Il y a l’Asie, les Etats-Unis… et le reste du monde
De juin 2022 à juin 2023, les investissements industriels ont progressé de 5% dans le monde par rapport à la période précédente de juin 2021-juin 2022. Ils ont atteint 1.306 milliards de dollars dont les trois-quarts dans l’implantation de nouvelles capacités de production. L’essentiel de ses investissements se dirige toujours vers l’Asie, qui en recueille 54%. Derrière, les Etats-Unis ont bénéficié de plus de 23,5% du total des investissements mondiaux (309 milliards de dollars), un chiffre en hausse de 4% sur un an lié à la fois à des prix de l’énergie attractifs (trois fois inférieurs à ceux de l’Europe) et à l’impact de l’Inflation Reduction Act (IRA). En revanche, les investissements annoncés dans l’Union européenne (UE) ne représentent que 6,7% du total.
Dans le détail, les investissements industriels ont baissé en douze mois de 38% dans l’UE à 87 milliards de dollars et de 71% en Allemagne (16 milliards de dollars) et 21% en France (11 milliards de dollars). Et le fait que l’Europe soit clairement en pointe dans la décarbonation des filières industrielles est loin pour le moment de constituer un atout. Car il s’agit exclusivement d’investissements qualitatifs qui ne se traduisent pas, au contraire, par une augmentation des capacités. La croissance verte et vertueuse reste aujourd’hui une vue de l’esprit des technocrates bruxellois et français.
Recul chinois
Dans le même temps, des changements significatifs sont à l’œuvre dans la géopolitique industrielle et se font sans l’Europe. En Asie, les investissements en Chine, l’usine du monde, sont en net ralentissement (28% en un an) et sont désormais bien en dessous de leur moyenne annuelle des dernières années. Cela reflète à la fois le ralentissement de l’activité du pays et plus encore les craintes grandissantes sur son attractivité tant économique que politique.
A l’inverse, la Corée du sud est devenue la première destination asiatique des investissements industriels, avec 258 milliards de dollars dont le mégaprojet de Samsung d’implanter cinq usines de semi-conducteurs dans le pays pour un investissement prévu de 230 milliards de dollars d’ici 2042. Dans une moindre mesure, l’Indonésie et le Mexique profitent également du recul des investissements en Chine.
Les entreprises européennes délaissent l’Europe…
L’Europe n’est pas une alternative crédible à la Chine et notamment, ce qui est le plus inquiétant, pour les multinationales européennes. Elles n’ont dirigé que 35% de leurs investissements vers l’Union européenne et 46% de leur nombre de projets. Et cela est particulièrement frappant dans les domaines directement liés à la transition énergétique. Sur les sept dernières années, les entreprises des secteurs de l’hydrogène (90% des montants), de l’éolien (80%) et de la construction automobile (64%) sont celles qui ont le plus fait le choix d’investir hors d’Europe.
Ainsi, si les entreprises américaines et européennes affichent des capacités d’investissement similaires, autour de 2.200 milliards de dollars depuis 2016, l’Europe n’a attiré que de 700 milliards de dollars sur son sol. « Il y a eu une augmentation certaine de la part de l’investissement « domestique » post-Covid, mais qui ne se retrouve pas dans les dix-huit derniers mois », remarque Trendeo.
Tout aussi significatif, les investissements réalisés par les entreprises européennes sont bien plus importants par projet hors de l’UE (251 millions de dollars en 2023 en moyenne) qu’à l’intérieur (98 millions de dollars). Ce qui se traduit, souligne Trendeo, par le fait que les entreprises américaines investissent plus en Europe (717 millions de dollars) que les nôtres !
L’UE peut tenter de se consoler en étant la région du monde qui arrive en tête pour les investissements en faveur de la décarbonation et la réduction des impacts environnementaux. Ainsi, 25% des projets européens annoncent des mesures en faveur de l’environnement et 11% en faveur de la réduction de la consommation d’énergie, contre respectivement 14% et 6% au niveau mondial. L’Europe abrite ainsi près de 50% des sites industriels promettant d’être neutres en carbone d’ici 2040. Mais cela ne l’empêche pas d’être toujours la proie d’un véritable malthusianisme industriel.