L’industrie énergétique, quelle que soit la filière, est avant tout comme son nom l’indique une industrie. Cela signifie qu’elle obéit à des règles assez immuables. L’une de celles-ci est la recherche de la normalisation. Afin de gagner en efficacité, faire des économies d’échelle, réduire les coûts de production comme d’entretien, elle recherche ce que l’on appelle des effets de série. Ils permettent d’amortir plus facilement les investissements de recherche et de développement et en réduisant le nombre de références de pièces facilitent l’entretien et l’apprentissage des équipes. Mais il existe une conséquence, un effet collatéral en quelque sorte de la construction en série, qui n’est pas heureux. Quand une pièce ou un système est défectueux, celui-ci se retrouve installé sur de nombreuses machines et ce qu’on appelle dès lors un aléa générique impacte fortement toute une partie des équipements et du parc existants.
Corrosion sous contrainte de canalisations nucléaires et roulements défectueux de rotors d’éoliennes
C’est ce qui a touché l’an dernier de façon spectaculaire le parc nucléaire français. Un défaut de conception sur l’un des circuits de refroidissement d’urgence de deux séries, les plus récentes (les paliers N4 (1500 MW) et P4 (1300 MW)), des réacteurs en service a contraint à l’arrêt un tiers de la puissance nucléaire du pays pour réparation. Le fameux problème de corrosion sous contrainte. Avec l’effet de série, la moindre erreur a pris une proportion importante bien que finalement assez limitée dans le temps.
A l’époque, certains avaient cru bon de se servir de cette « défaillance » de l’industrie nucléaire française pour expliquer que le secteur était vieillissant, dépassé voire même incompétent. Mais ce qui devait arriver arriva. Ces soucis d’aléas génériques étant intrinsèques à l’industrialisation des process, ce n’était qu’une question de temps pour que des équipements renouvelables soient – eux aussi – affectés. Depuis quelques mois, le constructeur allemand Siemens Energy et sa marque éolienne Siemens Gamesa sont confrontés à des difficultés du même ordre. En cause, un problème sur des roulements et pales de rotor pouvant affecter jusqu’à 30% des 105 GW de puissance de production éolienne installés qui ont été fabriqués par le constructeur.
La descente aux enfers de Siemens Energy
Dès l’annonce de ce problème en juin dernier, l’action de l’entreprise a commencé à dévisser en Bourse malgré les tentatives de la direction du groupe pour rassurer les investisseurs. La semaine dernière, face aux risques financiers que font peser ces problématiques industrielles sur l’entreprise, Siemens Gamesa a même annoncé arrêter la prise de commande pour ses modèles phares, présumés affectés.
Crise financière
Et la situation financière de Siemens Gamesa n’a cessé de se dégrader. Cela a conduit Siemens Energy, sa maison-mère, à annoncer le 26 octobre dernier « des discussions préliminaires avec diverses parties, notamment les banques (…) et le gouvernement fédéral » en vue d’obtenir « un volume croissant de garanties ». L’annonce a entraîné un effondrement de l’action du groupe en Bourse, qui a abandonné jusqu’à 34% en séance.
Siemens Energy dans son ensemble dispose certes d’une trésorerie encore abondante et d’un carnet de commandes proche de 15 milliards d’euros selon ses derniers états financiers publiés en août. Mais les difficultés rencontrées dans l’éolien l’ont contraint à passer 1,6 milliard d’euros de provisions dans ses comptes et surtout à ne plus être capable, sans garanties publiques ou bancaires, d’obtenir des financements pour mener de nouveaux projets de construction de parcs éoliens. Pour surmonter cette difficulté, le groupe demanderait une garantie d’emprunts pour un montant de 15 milliards d’euros à l’Etat fédéral allemand.
Raison garder
Il convient toutefois de ne pas tomber dans le même travers que les anti-nucléaires l’an dernier. Les aléas génériques ont toujours été un corollaire indépassable de l’industrialisation. Ils touchent l’industrie de la même façon, qu’elle soit renouvelable ou nucléaire. Et il est fort probable que l’on découvre le même type de problèmes demain sur d’autres équipements. Ces aléas font partie de la vie industrielle et des progrès technologiques. Il ne faut ni les nier, ni les minimiser, ni en exagérer la signification et les conséquences, notamment pour des raisons idéologiques.
Philippe Thomazo