S’il était besoin d’avoir la démonstration de l’avantage décisif que donne à la Chine le contrôle du raffinage et de la production des minéraux et métaux dits critiques ou stratégiques, l’épisode récent sur le graphite suffirait à le démontrer. Pékin a annoncé la semaine dernière limiter ses exportations de graphite au nom de la sécurité nationale… À partir du 1ᵉʳ décembre, il faudra un permis d’exportation aux fabricants chinois pour expédier le graphite synthétique de haute pureté, de haute densité et de haute résistance, ainsi que le graphite naturel en paillettes. Cette qualité de graphite est tout simplement indispensable à la production des cellules de batteries qui alimentent les véhicules électriques et les appareils électroniques et aussi à la fabrication de la plupart des semi-conducteurs. Toutes les anodes de batteries, la partie chargée négativement, utilisent ce matériau.
Pour donner un ordre d’idée, une batterie lithium-ion de 400 kilos d’une technologie classique qui alimente une voiture électrique contient 90 kilos de graphite. Et pour les obtenir, il faut traiter une tonne de minerai. Comme l’explique un certain nombre d’économistes, le nouveau pétrole n’est pas le lithium ou le cuivre, mais le graphite.
Un matériau hautement stratégique
Ce n’est pas pour rien si l’Union Européenne et les Etats-Unis ont fait récemment et tardivement du graphite un matériau stratégique. Le problème, c’est que la Chine est de loin le premier producteur mondial de graphite dont elle contrôle entre 70 et 80%. L’industrie chinoise raffine, selon l’agence Reuters, plus de 90% du graphite utilisé pour fabriquer les cellules de batteries ce qui lui permet d’ailleurs de fabriquer plus de 86% des anodes de batteries dans le monde…
Les restrictions imposées par la Chine sur le graphite s’inscrivent dans ce qui est devenue une guerre commerciale de faible intensité, mais une guerre tout de même, et sont similaires à celles imposées depuis le 1er août sur deux métaux stratégiques eux-aussi indispensables à la fabrication des puces électroniques ou semi-conducteurs, le gallium et le germanium. Même si, officiellement, les limitations des exportations chinoises « ne visent aucun pays ou régions en particulier », elles ont été annoncées quelques jours seulement après de nouvelles limitations imposées par Washington sur les exportations de semi-conducteurs américains et après l’annonce par Bruxelles de l’ouverture d’une enquête anti-dumping sur la production de véhicules électriques en Chine.
Une pénurie inévitable
A en croire, les spécialistes de ce marché, une pénurie de graphite est aujourd’hui inévitable. Il y a déjà deux ans, l’agence britannique Benchmark Minerals, spécialisée dans la chaîne de valeur des batteries Lithium-ion, alertait sur une pénurie à venir du graphite. Elle estimait que le marché du graphite naturel risquait d’être en sous-production dès 2023 et celui du graphite synthétique à partir de 2026. La raison en est simple. En 2020, seuls 30% des 770.000 tonnes de consommation annuelle mondiale de graphite étaient utilisés pour la fabrication de batteries. Les 70% restant étaient principalement destinés à la métallurgie, la fabrication de lubrifiants et diverses applications dans les composants électriques. L’envolée des ventes de véhicules électriques à batteries change tout. En 2030, les besoins en graphite pour le seul marché des batteries sont estimés à plus de 3 millions de tonnes par an, Or les producteurs, essentiellement chinois, seront incapables de répondre à la demande. La Chine décidera donc quels fabricants de batteries et quels constructeurs automobile seront approvisionnés… D’abord les siens et c’est ce qu’elle vient de commencer à faire.
«Ce que la Chine dit à l’Occident avec cette décision, c’est que nous n’allons pas vous aider à fabriquer des voitures électriques, vous devez trouver votre propre moyen de le faire», explique Hugues Jacquemin, Pdg de Northern Graphite. Les principaux importateurs de graphite chinois sont le Japon, les Etats-Unis, l’Inde, la Corée du sud. L’industrie européenne des batteries commence seulement à se développer et importe encore peu de matériaux nécessaires à leur fabrication.
Plusieurs autres pays peuvent produire du graphite et possèdent des ressources importantes. Selon le United States Geological Survey, la Turquie (27,3%) et le Brésil (22,4%) possèdent à eux deux la moitié des ressources naturelles de graphite du monde et la Chine n’en a que 16%. Mais développer des mines et des usines de raffinage demande du temps et des investissements importants.