L’avenir du gaz en France a toujours fait l’objet de débats passionnés. Longtemps, les anti-nucléaires ont vu dans cette source d’énergie une alternative au nucléaire, certes fossile et émettrice de gaz à effet de serre mais tout de même moins que le fioul et le charbon. Ainsi, quand on regarde les programmes écologistes des années 1990-2000, le gaz naturel est vu comme une alternative au chauffage électrique, le tout électrique étant évidemment corrélé avec le développement du nucléaire.
Pendant longtemps, la source d’énergie fétiche des anti-nucléaires
Les centrales à gaz bénéficient toujours de cette aura difficile à comprendre y compris aujourd’hui, étant présentées à la fois comme le complément idéal des sources d’énergies renouvelables intermittentes (éolien et solaire) et évidemment comme une alternative au nucléaire honni. C’est notamment pour cela que l’Allemagne s’est engagée dans la construction d’un parc massif de centrales à gaz modernes et performantes afin de permettre à la fois de gérer la fin du nucléaire et celle à moyen terme des centrales à charbon. Tout cela devait se faire grâce à un approvisionnement abondant et relativement peu coûteux en gaz russe. Le géant gazier russe Gazprom ayant d’ailleurs été jusqu’à financer quelques groupes écologistes anti-nucléaires et évidemment à s’attacher les services de politiques de renom dont l’ancien chancelier Gerard Schröder… Toute cette construction s’est effondrée avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022.
En France si la stratégie d’ensemble est très différente, le chauffage au gaz a pourtant été longtemps favorisé par des subventions mais aussi dans le calcul tant décrié du fameux DPE (Diagnostic de performance énergétique). Le gaz obtenait le coefficient maximum de 1 dans le calcul de l’énergie primaire consommée, contre 2,58 pour l’électricité, ramené il y a peu à 2,3. Un logement chauffé à l’électricité voyait ainsi sa consommation d’énergie finale multipliée par 2,58 pour obtenir sa note de consommation d’énergie primaire, tandis que quand il était chauffé au gaz la consommation initiale était conservée tel quel. Un avantage certain pour le gaz.
Un impératif économique et aussi politique
Le problème est que si le gaz est effectivement moins émetteur que ses grands frères pétroliers et charbonniers, il reste une énergie fossile dont la combustion émet malgré tout énormément de CO2, mais aussi divers polluants issus de la combustion dont des particules fines nocives à la santé quand elles se répandent dans l’atmosphère.
Pour atteindre ses objectifs de réduction des émissions, la France ne peut ainsi faire autrement aujourd’hui que de s’attaquer à cette source d’énergie devenue au fil des incitations le premier mode de chauffage du pays, responsable de plus de 10% des émissions de CO2.
Et puis, la baisse de la consommation de gaz est aussi un impératif économique et politique au vu de la dépendance française vis à vis des importations, que ce soit évidemment de la Russie mais aussi d’autres pays, comme le Qatar via ses exportations massives de GNL (Gaz naturel liquéfié). A ce titre, la signature d’un contrat d’approvisionnement de très très long terme, 27 ans, avec le Qatar il y a quelques jours par TotalEnergies ne pouvait tomber à un plus mauvais moment. Le Qatar a toujours eu des relations particulièrement étroites avec de nombreux mouvements islamistes… dont le Hamas palestinien, organisation considérée comme terroriste par la France et l’Union Européenne.
Le lobby gazier ne va pas lâcher l’affaire
La dernière étude de RTE (Réseau de transport d’électricité) donne une idée précise de la difficulté et de l’ampleur de la tâche qui attend les pouvoirs publics. Elle chiffre à 11 millions le nombre de logements devant passer du gaz à l’électricité d’ici 2035 afin de respecter les objectifs d’émissions du pays. Une perspective qui se heurte à l’opposition des ménages contraints d’investir dans de nouveaux système de chauffage coûteux comme les pompes à chaleur et évidemment à l’ensemble du secteur gazier.
Dès l’année dernière, la baisse du coefficient d’énergie primaire dans les DPE (de 2,58 à 2,3) réduisant de facto l’un des avantages comparatifs du gaz a été attaqué en justice par France Gaz, le syndicat professionnel de l’industrie gazière française. Bien que déboutés par le Conseil d’Etat en août 2023, cette affaire a montré la volonté des industriels gaziers à défendre leur marché.
Le gouvernement, après avoir interdit les chaudières à gaz dans les bâtiments neufs (individuels depuis 2023, collectifs à partir de 2025), avait ouvert la réflexion à une interdiction généralisée de ce mode de chauffage y compris en rénovation. Mais la mobilisation de la filière gazière prête à utiliser tous les arguments, y compris l’origine des pompes à chaleur ou leurs performances, a réussi à faire reculer et hésiter le gouvernement.Mais il s’agit seulement d’un sursis. Les chaudières à gaz qui étaient encore subventionnées dans le cadre de «ma prime rénov’» jusqu’au 31 décembre 2022, ne le sont plus depuis le 1er janvier de cette année. Elles conservaient le droit aux CEE (Certificats d’économie d’énergie), et ce ne sera plus le cas en 2024.
Pompes à chaleur air/air
En face, les pompes à chaleur air/air -bien moins onéreuses que les pompes à chaleur air/eau- n’avaient pas droit à ces mécanismes de soutien. Leurs opposants écologistes et gaziers leur reprochaient de façon dogmatique leur capacité réversible, c’est-à-dire la faculté de chauffer l’hiver et aussi de climatiser l’été. Pour les idéologues, la transition énergétique doit être une souffrance car nous devons expier nos péchés de consommateurs d’énergies polluantes…
Or, l’adaptation au changement climatique nécessite de faire face aux canicules de plus en plus fréquentes. La climatisation est une solution, certes imparfaite mais existante et efficace en termes de santé publique. Et nous l’avons appris cette fin de semaine, les pompes à chaleur air/air seront désormais admissibles à «ma prime rénov’» ce qui ne fera que renforcer leur compétitivité face au gaz désormais privé de tout soutien à l’installation.
Ainsi, le gaz comme moyen de chauffage voit son attrait décliner progressivement. Son déclin paraît désormais inévitable, à moyen terme. Dans l’intérêt du climat comme de la facture énergétique et de l’indépendance nationale.
Philippe Thomazo