C’est un paradoxe qui montre l’inefficacité et l’inconséquence des politiques économiques et industrielles menées par l’Union Européenne (UE). L’Europe est de loin la région du monde la plus engagée depuis de nombreuses années dans la transition énergétique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, au point de se considérer comme un modèle, même si personne ailleurs dans le monde veut le suivre… En tout cas, les pays européens sont bien plus engagés que les Etats-Unis dans ce domaine. Et pourtant, la façon dont est menée la transition vers les véhicules électriques va très vraisemblablement tourner à la catastrophe économique et sociale en Europe et bien moins outre-Atlantique. Même la Cour des comptes européenne met en garde contre les errements de la stratégie bruxelloise. La gravité de la situation est illustrée par l’annonce au cours des derniers jours par la Commission européenne qu’elle envisage d’imposer des droits de douane supplémentaires sur les véhicules électriques importés de Chine en raison de soupçons de dumping (ventes à perte pour détruire la concurrence).
Incapable de résister à l’industrie automobile chinoise
En dépit des promesses et des grands discours creux, la transition est en passe d’accélérer la désindustrialisation et le déclin économique de l’Europe. L’automobile restait une des rares industries mondiales où l’Europe était compétitive et même souvent en pointe dans le domaine technologique. C’était à l’époque de la motorisation thermique. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui avec la motorisation électrique à batteries. L’an dernier, les deux plus grands fabricants mondiaux de véhicules électriques étaient le chinois BYD (voir la photographie ci-dessus d’une partie de sa gamme) et l’américain Tesla. Et ce n’est qu’un début. Derrière BYD, une floppée de jeunes constructeurs chinois sont promis à un brillant avenir comme SAIC, Geely, Li Auto, Nio, Xpeng… La Chine n’est pas devenue par hasard au premier semestre de cette année le premier exportateur mondial de voitures…
L’industrie chinoise a pris le contrôle de fait de la production des batteries et de toute la filière et les fameuses gigafactories dont la construction en Europe et en France sont annoncées en fanfare sont souvent contrôlées par des industriels chinois qui de toute façon les approvisionneront en métaux critiques… Pour se rendre compte des enjeux, il faut bien mesurer le fait que l’industrie automobile européenne représente environ 10% de la valeur ajoutée manufacturière de l’UE et jusqu’à 23% dans certains pays d’Europe centrale et orientale.
Incapable de faire comme les Etats-Unis
L’industrie chinoise possède un avantage considérable en matière de prix de ses véhicules. Il s’explique à la fois par un coût de la main-d’œuvre inférieur, par la disponibilité et le coût des matériaux dits critiques et par la politique industrielle de Pékin. La stratégie chinoise pour prendre le contrôle de marchés mondiaux considérés comme stratégiques est à la fois diablement efficace et toujours la même. Il s’agit d’abord de subventionner massivement avec de l’argent public une filière entière, de lui permettre de développer technologies et moyens de production avec des investissements presque illimités, de conquérir le marché chinois et fort de cette base de détruire ensuite la concurrence avec une production massive et des prix contre lesquels les producteurs étrangers ne peuvent lutter. Au passage, le contrôle des sources d’approvisionnement de composants et de matières premières facilite les choses. Les panneaux solaires et les cellules de batteries sont de parfaits exemples de la réussite d’une telle stratégie.
Et ils ont maintenant en matière automobile une voie royale qui leur a été ouverte par les politiques des institutions et des Etats européens. A savoir une multitude de subventions à la consommation et de contraintes pour forcer le public à acheter les véhicules électriques… que l’industrie automobile européenne ne peut pas produire de façon aussi compétitive que ses concurrents chinois. En plus l’Europe n’a même pas les armes et la volonté politique des Etats-Unis pour protéger son industrie. Les gouvernements européens ne disposent tout simplement pas des ressources financières pour subventionner directement leurs propres industries comme le fait Washington profitant évidemment du privilège offert par le dollar.
L’administration Biden ne s’embarrasse pas avec les principes du libre-échange
L’administration Biden ne s’embarrasse pas avec les principes si chers à la Commission européenne du libre-échange. Voilà pourquoi sa fameuse loi IRA (Inflation Reduction Act) votée à l’été 2021 est une arme de guerre en faveur de la production de véhicules électriques sur le sol américain. Elle conditionne les subventions à l’industrie et aux consommateurs au fait que les véhicules en question sont fabriqués aux Etats-Unis. Peu importe les règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Les Etats-Unis et la Chine ne jouent pas vraiment le même jeu que les institutions européennes…
La libéralisation du commerce international est en fait la seule doctrine et même le seul fil conducteur de la politique économique et industrielle de l’Union Européenne avec les résultats que l’on connait… L’UE impose ainsi d’ores et déjà des droits de douane moins élevés sur les importations d’automobiles que les États-Unis. Et changer les règles communautaires en vigueur depuis longtemps semble presque impossible. Il y aura toujours un pays n’ayant pas d’industrie automobile ou voulant s’attirer les bonnes grâces chinoises qui fera obstacle à toute forme de protectionnisme. Et puis il n’est probablement pas possible de trouver le moyen juridique d’appliquer des droits de douane aux véhicules produits uniquement par des constructeurs chinois tout en exemptant tous les autres
Seulement gagner du temps
En plus l’industrie automobile européenne n’a plus vraiment de marge de manœuvre. La moitié des véhicules exportés par la Chine au cours du premier semestre de cette année ont été fabriqués des coentreprises entre des constructeurs automobiles européens et américains et des entreprises chinoises. La majorité des nouvelles immatriculations de voitures électriques en Allemagne sont soit produits en Chine via des partenariats soit commercialisés par des marques «européennes» comme MG ou Volvo qui en fait appartiennent à des groupes chinois.
La Commission européenne ne fait aujourd’hui que gagner du temps et tenter de préserver ce qui lui reste d’image favorable dans les opinions publiques des pays de l’Union. Il est déjà trop tard pour sauver les constructeurs européens. Le problème est structurel. La technostructure européenne n’a de compte à rendre à personne et n’est jamais tenue responsable des conséquences de ces décisions…