Les institutions européennes éprouvent de plus en plus de difficultés à imposer aux pays de l’Union les contraintes d’une transition à marches forcées qui est devenue leur identité et même leur légitimité. En juillet 2021, Ursula von der Leyen, la Présidente de la Commission, triomphait en rendant publiques les milliers de pages de sa feuille de route pour réduire de 55% les émissions de CO2 d’ici 2030 (par rapport à 1990) au lieu de 40%. Le résultat d’une surenchère d’ambitions et de communication entre les Etats, le Parlement et la Commission. C’est ce que dénonçait de fait la Cour des comptes européennes qui soulignait il y a trois mois que les financements permettant éventuellement de parvenir à faire baisser de 55% les émissions de carbone n’étaient pas du tout au rendez-vous. Annoncer des objectifs à peu près irréalisables et dicter pour les atteindre des contraintes toujours plus lourdes aux industriels comme aux populations est le meilleur moyen de faire grandir l’opposition à la transition. Les gouvernements en ont bien conscience contrairement à la technocratie bruxelloise.
Ainsi, les pays membres de l’Union Européenne (UE) ont écarté lundi 25 septembre un nouveau durcissement des normes de pollution sur les gaz d’échappement des voitures particulières, estimant qu’il risquait d’affaiblir encore un peu plus les constructeurs historiques européens engagés dans une transition coûteuse et incertaines vers la motorisation électrique. Ce n’est pas pour rien si l’an dernier les constructeurs ayant vendu le plus de véhicules électriques dans le monde sont de nouveaux entrants, l’Américain Tesla et le Chinois BYD. L’industrie automobile représente pas moins de 14 millions d’emplois dans l’UE…
L’Italie et la France ont eu la peau de la norme Euro 7
Sous l’impulsion notamment de l’Italie et de la France, les Vingt-Sept ont voté en faveur d’une réglementation moins stricte que la proposition formulée par la Commission en novembre 2022. Ce texte sur la norme baptisée Euro 7 doit s’appliquer à partir de 2025 à tous les véhicules particuliers et utilitaires.
La Commission entendait réduire significativement les émissions d’oxyde d’azote (NOx) et de particules fines pour réduire la pollution atmosphérique. Mais l’industrie avait mis en garde contre l’impact de normes trop sévères sur l’emploi et le prix des voitures au moment où elle consacre tous ses moyens au passage à l’électrique.
Adoptée malgré l’opposition de l’Allemagne, la proposition de l’Espagne, qui assure la présidence tournante du Conseil de l’UE, prévoit de conserver quasiment inchangées les limites d’émissions des voitures particulières et utilitaires légers par rapport à la norme précédente dite Euro 6. Elle marque toutefois un abaissement des seuils d’émission pour les poids lourds ainsi que l’introduction pour la première fois de limites à l’émission de particules fines provenant de l’abrasion et l’usure des freins et des pneus. Ces particules représentent environ 50% de celles émises par un véhicule thermique.
Au début de l’année, l’Allemagne a imposé les carburants synthétiques
La France a salué le vote. « Puisqu’on a décidé ensemble de sortir des moteurs thermiques, il n’est pas forcément indispensable de rajouter de la régulation » a expliqué le ministre délégué à l’Industrie, Roland Lescure. La position de Paris et Rome était notamment partagée par la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie et la Slovaquie.
A l’automne dernier, les 27 pays de l’Union ont conclu un accord politique visant à mettre un terme à la vente de voitures neuves non électriques d’ici à 2035. Mais la Commission a dû au début de l’année accepter une entorse à la règle quand un groupe de pays mené cette fois par l’Allemagne a décidé soudain d’en atténuer les effets. Ils ont obtenu après un bras de fer avec la Commission une exception de taille pour les véhicules thermiques fonctionnant avec des carburants synthétiques décarbonés.
La fin du mois contre la fin du monde
La montée de l’hostilité à l’égard d’une stratégie de transition imposée par une technocratie qui se soucie peu des dégâts sociaux, industriels et économiques qu’elle provoque, et dont l’efficacité est en plus contestable, est une réalité
On a pu et on peut toujours le mesurer en France avec le mouvement des Gilets jaunes il y a maintenant près de cinq ans et plus récemment avec l’opposition farouche à l’instauration des ZFE (zones à faibles émissions) dans les métropoles, au rejet du passage obligé aux véhicules électriques, à celui des implantations d’éoliennes et de méthaniseurs et à l’incompréhension face au capharnaüm bureaucratique et administratif de la rénovation énergétique des logements.
Aux Pays-Bas, un parti agricole a émergé en réponse au plan de l’ancien gouvernement visant à réduire les émissions et les pollutions de la puissante industrie agro-alimentaire du pays et a obtenu un soutien considérable lors des élections locales. En Allemagne, le parti des Verts, qui fait partie de la coalition au pouvoir et qui est naturellement le plus fervent défenseur de la transition, perd rapidement la faveur des électeurs, tandis que le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne anti-transition gagne en popularité.
La Pologne a pour sa part été bien plus loin en intentant un procès à l’Union en raison de l’interdiction des véhicules à moteur à combustion interne. Elle considère qu’il s’agit d’une atteinte à la liberté des citoyens.
Au Royaume-Uni, qui est sorti de l’Union, le Premier ministre Rishi Sunak a scandalisé les écologistes en déclarant que son cabinet délivrerait des centaines de nouvelles licences d’exploitation de pétrole et de gaz en mer du Nord s’il était réélu.
L’explication fondamentale à ses réactions au sens premier du terme est assez simple. Les populations commencent à mesurer le coût de la transition. Et elles se préoccupent avant tout de la fin du mois plutôt que de la fin du monde. Le retournement est très clair en Europe depuis la crise énergétique de l’an dernier. D’ailleurs, devant la menace de pénuries de gaz et d’électricité et l’envolée des prix de l’énergie, les gouvernements ont soudain oublié les promesses et les engagements solennels pour recourir à un véritable sauve-qui-peut, utilisant tous les moyens à leur disposition pour ne pas manquer d’énergie et limiter la hausse de leurs prix. En réactivant en Allemagne, par exemple, où les Verts font partie de la coalition gouvernementale, des dizaines de centrales à charbon et en subventionnant un peu partout la consommation de carburants fossiles…