Après avoir longtemps construit des scénarios irréalistes de stagnation de la consommation et donc de la production d’électricité, totalement incohérents avec les impératifs de la transition énergétique, RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France, est redevenu plus sérieux et plus crédible. Il suit ainsi assez étroitement les fluctuations politiques et même politiciennes des gouvernements qui se sont succédés depuis de nombreuses années. Il n’est plus question aujourd’hui notamment de construire des prévisions permettant de justifier la fermeture de dizaines de réacteurs nucléaires, voire une production d’électricité 100% renouvelables…
C’est ce que montre son Bilan prévisionnel 2023-2035 rendu public le 20 septembre. Il actualise, en les ramenant de six à trois, les différents scénarios du document « Futurs énergétiques 2050 » rendu public en octobre 2021 et sur lequel Emmanuel Macron et ses gouvernements se sont appuyés pour faire leur volte-face sur le nucléaire et leur stratégie de transition. Il inscrit la consommation et la production d’électricité d’ici à 2035 dans un scénario d’électrification des usages pour réduire l’utilisation d’énergies fossiles. La France disposant notamment d’un atout incomparable qui est de produire d’ores et déjà une électricité décarbonée à plus de 90% grâce au nucléaire, à l’hydraulique et aux renouvelables intermittents éolien et solaire.
Les scénarios de RTE face à la crise énergétique
Rappelons toutefois que comme le rappelle d’ailleurs RTE, l’électricité n’est qu’un élément, certes essentiel, de la consommation d’énergie. Et la faiblesse des institutions européennes comme des gouvernements est d’avoir longtemps été, et d’être toujours, obnubilés par l’électricité qui est un vecteur d’énergie pas une source d’énergie. Elle représente 27% de la consommation d’énergie finale en France, 23% en Europe et 19% dans le monde.
En tout cas, depuis octobre 2021 il s’est passé beaucoup de choses dans le monde de l’énergie qui justifie l’actualisation des prévisions de RTE et notamment une crise majeure, liée en partie à l’invasion de l’Ukraine en février 2022 par la Russie. Elle s’est traduite par une envolée inattendue, notamment en Europe, des prix du gaz naturel et de l’électricité. Cette crise a eu au moins le mérite de remettre au centre des préoccupations les questions cruciales de souveraineté énergétique, de sécurité d’approvisionnement, de réindustrialisation et plus encore de mesurer immédiatement les conséquences économiques et sociales d’une augmentation sensible des prix de l’énergie. Ainsi, la facture énergétique de la France s’est élevée à 120 milliards d’euros en 2022, « dont plus de 100 milliards pour le gaz et le pétrole, soit le budget combiné des armées et de l’éducation nationale ». On peut ajouter à ses transformations du paysage énergétique la surenchère des institutions européennes avec le plan « Fit for 55 » de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici à 2030 par rapport à 1990 au lieu de 40%.
Augmentation considérable de la production renouvelable et de l’efficacité énergétique
RTE a donc revu ses scénarios possibles « avec des rythmes différents de consommation, d’électrification des usages et de développement des énergies bas-carbone ». Il y en a trois. Le premier, scénario A, est la trajectoire de référence permettant d’atteindre les objectifs européens. Un scénario B, plus réaliste, permet d’atteindre les mêmes objectifs climatiques et de réindustrialisation mais « avec un retard de 3 à 5 ans ». Enfin, le scénario « C » décrit un environnement de « mondialisation contrariée, dans lequel les tensions macroéconomiques et géopolitiques se prolongent durablement » qui rendent la transition « plus difficile et plus coûteuse ».
En tout cas, RTE s’inscrit maintenant résolument dans une logique de substitution pour un grand nombre d’usages des énergies fossiles par de l’électricité décarbonée et donc d’une augmentation de la consommation et de la production et plus dans un monde de fantaisie où l’efficacité énergétique et la sobriété permettraient par miracle de ne pas avoir besoin de plus d’électricité. Mais cela ne veut pas dire que l’efficacité énergétique ne reste pas un ingrédient essentiel pour permettre aux modèles de donner les résultats escomptés…
En tout cas, « pour atteindre les objectifs de décarbonation accélérée et de souveraineté énergétique, une croissance forte et rapide de la consommation d’électricité est nécessaire », affirme RTE. Dans le scénario A, la consommation française d’électricité pourrait « atteindre entre 580 et 640 TWh/an en 2035 ». Le niveau moyen de consommation retenu en 2035 dans ce scénario est de 615 TWh, soit près d’un tiers de plus que le niveau actuel de consommation (460 TWh en 2022). Pour mémoire, en octobre 2021 RTE tablait sur une consommation de 540 TWh en 2035…
Toujours la méthode Coué
Maintenant, les scénarios de RTE font toujours appel à la fameuse méthode Coué. Ils s’appuient ainsi sur des anticipations particulièrement « optimistes » d’améliorations spectaculaires de l’efficacité énergétique et d’envolée de la production d’électricité par les renouvelables intermittents (éolien et solaire) qui permettent alors de respecter les objectifs européens.
RTE met en avant 4 moyens essentiels pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. «La France a les moyens de gérer ces besoins d’électricité qui sont en hausse en s’appuyant sur quatre leviers essentiels : l’efficacité énergétique, la sobriété, le développement des énergies renouvelables et la disponibilité du parc nucléaire. Ces quatre leviers sont nécessaires. Il faut les activer simultanément plus ou moins fortement. Des marges de manœuvre sont possibles, mais il n’est pas possible de renoncer totalement à l’un d’entre eux », explique Xavier Piechaczyk, le président du directoire de RTE. Limiter la hausse de la consommation grâce à l’augmentation de l’efficacité énergétique représente un potentiel d’économie évalué « entre 75 et 100 TWh par an » à l’horizon 2035. Jouer aussi sur la sobriété, c’est-à-dire tout simplement moins consommer, « permettrait d’économiser jusqu’à 25 TWh en 2035 ». Enfin, les deux derniers leviers consistent donc à augmenter très fortement la production des filières renouvelables et disposer d’une plus grande disponibilité du parc nucléaire avec enfin l’entrée en production de l’EPR de Flamanville.
Source RTE.
Quadrupler la production d’électricité renouvelable intermittente d’ici 2035
De toute façon, l’« accélération importante » de la production ne peut venir d’ici 2035, faute d’anticipations y compris par RTE, que des énergies renouvelables intermittentes. Et c’est là où les choses se compliquent avec une production renouvelable au minimum de 270 TWh par an en 2035, en incluant l’hydroélectricité, « et, si possible, jusqu’à 320 TWh » par an, contre près de 120 TWh par an aujourd’hui…. Concrètement, cela implique, hors hydroélectricité, de quadrupler la production provenant du solaire photovoltaïque et des éoliennes terrestre et marine d’ici 2035.
Pour le solaire photovoltaïque, le rythme de développement « minimal » attendu est de 4 GW par an et celui « souhaitable » à partir de 2027 de 7 GW par an (contre 2,6 GW par an en moyenne en 2021-2022). La production solaire photovoltaïque pourrait dans ces conditions atteindre 80 à 110 TWh en 2035 (contre 18,6 TWh en 2022)…
L’éolien terrestre pourrait, en poursuivant le rythme d’installation actuel (+ 1,5 GW par an), produire 85 TWh par an en 2035 (contre 38,1 TWh en 2022). L’éolien offshore pourrait pour sa part apporter une contribution de 50 à 65 TWh en 2035 contre 0,7 TWh en 2022.
En ce qui concerne le nucléaire, « l’enjeu est de retrouver des niveaux de disponibilité et de production nucléaire supérieurs à ceux des dernières années », RTE retenant « une hypothèse prudente et atteignable » de 360 TWh par an à l’horizon 2030-2035 en intégrant enfin l’EPR de Flamanville. L’idéal serait toutefois d’atteindre 400 TWh, et ainsi de renouer avec les niveaux de production qu’a connu le parc nucléaire durant la décennie 2010.