La santé économique insolente de l’Allemagne a beaucoup fait parler ces dernières années. Industrie conquérante, balance commerciale largement excédentaire, elle avait de quoi faire des envieux. Mais le covid, la crise ukrainienne et l’échec de sa stratégie énergétique (Energiewende) font que ce tableau idyllique commence à se ternir.
Les bases de l’économie allemande reposaient sur plusieurs piliers, à commencer par l’accès à une énergie fossile abondante et peu chère. C’est dans ce contexte que Berlin n’a eu de cesse de développer ses liens avec Moscou, ce qui prendra notamment la forme de la construction du désormais célèbre gazoduc Nord Stream, entré en service en 2012, et de son grand frère, Nord Stream 2, qui devait entrer en service cette année…
La fin du gaz russe, abondant et relativement bon marché
Cela n’aura échappé à personne, l’explosion des prix du gaz dans un premier temps, puis le sabotage des deux gazoducs auront été comme des coups de poignard en plein cœur de l’économie allemande.
Car contrairement à la France, le pays ne dispose que de peu de marges de manœuvre. La fermeture de ses centrales nucléaires a renforcé la dépendance de sa production électrique au gaz et au charbon pour ses besoins de pilotable. Il n’y pas toujours de vent et de soleil. Et l’aveuglement à l’égard de la dépendance à l’approvisionnement au gaz russe, non sans parfois de sérieux soupçons de corruption, a été tel que l’Allemagne ne disposait tout simplement d’aucun terminal méthanier lui permettant de diversifier rapidement son approvisionnement avec du GNL (Gaz naturel liquéfié).
Une envolée des prix de l’énergie qui a effondré la compétitivité industrielle
Le modèle industriel allemand, notamment dans la chimie, la sidérurgie et l’automobile, extrêmement dépendant du gaz russe se retrouve aujourd’hui face à un monceau de difficultés et doit se reconstruire et se repenser tout en voyant sa compétitivité et ses marchés à l’exportation s’effondrer.
Cette nécessité de trouver de l’énergie moins chère commence à se voir sur les marchés européens. Depuisl’Energiewende, l’Allemagne avait tendance à avoir quasi-systématiquement une électricité très peu chère en moyenne sur les marchés à terme. Pour deux raisons, un potentiel renouvelable important (éolienne et solaire) qui produit en général soit trop, soit trop peu et un potentiel pilotable, de centrales à charbon et à gaz qui est important. et assure la sécurité d’approvisionnement. Mais cette semaine, l’Allemagne s’est fait doubler sur les marchés européens par la France. Mardi 12 septembre, le MWh en livraison octobre 2023 s’échangeait ainsi à 90,8 euros à Berlin contre 90 euros à Paris.
Une PME allemande paye son électricité 4 fois plus cher que son équivalent français
Cette différence peut sembler minime, mais la portée symbolique est telle que l’inquiétude ne cesse de grandir outre Rhin. La chambre de commerce et d’industrie allemande rappelait ainsi qu’une PME allemande payait aujourd’hui son électricité 4 fois plus cher que son équivalent français. Dans ce contexte, les propos de Bruno Le Maire, le ministre français de l’Economie, affirmant, rapidement, que « la France est en train de devenir le moteur économique de l’Europe » ont été assez peu appréciés. Cela a contraint le ministre français à se livrer ensuite à une opération déminage pour s’afficher tout sourire aux côtés du ministre de l’Economie allemand.
Pourtant, ces propos reflètent une part de vérité. Le rebond énergétique française, illustré par la vitesse de réparation et de remise en service de son parc nucléaire, permet à la fois à son énergéticien public – EDF – d’afficher une meilleure santé économique et à son industrie de négocier au cours des derniers mois des contrats de fourniture d’électricité à des tarifs imbattables sur le continent.
Des risques de délocalisations massives
Certes l’industrie française n’a plus rien de comparable avec son homologue allemande, mais elle est bien moins menacée que cette dernière par des risques de délocalisation résultant notamment de l’envolée des prix de l’énergie.
Alors que sur l’autre rive du Rhin, plus de 50% des industriels craignent d’être obligés de délocaliser, le voisin français est envié. Au point que certains accusent désormais la France de concurrence déloyale. Un comble quand on mesure le travail de sape effectué depuis des années par l’Allemagne, notamment à Bruxelles, contre la politique énergétique française et son industriel.
Mais l’heure est grave, à tel point que l’hebdomadaire der Spiegel a publié au début du mois de septembre un article qui a eu un impact considérable, il était titré « Frankreich – Das bessere Deutschland » (La France – l’Allemagne en mieux).
Il faut faire attention de ce côté-ci du Rhin à notre tendance à crier victoire trop tôt et à se voir plus beau et surtout plus puissants que nous le sommes réellement. Mais en tout cas, le complexe d’infériorité qui affectait les entreprises et politiques tricolores depuis quelques années face à la réussite germanique n’a plus aucune raison d’être.
Philippe Thomazo