Tchernobyl est devenu à la mode. La plus grande catastrophe nucléaire civile de l’histoire, la seule à avoir coûté des vies humaines, ne cesse d’être à nouveau au coeur de l’actualité. Que ce soit à la suite d’études sur la renaissance de la flore et de la faune dans la zone interdite mise en quarantaine depuis 33 ans, de l’attrait touristique récent pour cette région, d’une mini-série télévisée de HBO retraçant la catastrophe de 1986 qui a remporté un succès planétaire et plus récemment à la suite de craintes, dramatisées, sur l’état du sarcophage du tristement célèbre réacteur quatre de la centrale. Des craintes injustifiées, car depuis 2016, une arche monumentale (voir l’image ci-dessus) est installée autour et au-dessus du vieux sarcophage. Mais la peur attire, mobilise. La peur fait vendre. Et si un nom est devenu synonyme de peur, c’est bien celui de Tchernobyl.
Le réacteur numéro quatre de cette centrale a explosé le 26 avril 1986 à la suite d’une accumulation d’erreurs, de conception et de gestion du réacteur, d’un exercice de sécurité mené dans des conditions invraisemblables et d’une augmentation incontrôlée de la puissance qui a fait entrer en fusion le coeur et provoqué une explosion d’une très grande puissance. Elle a détruit l’enceinte du réacteur et mis en contact directement avec l’atmosphère le coeur en fusion libérant des quantités considérables de radiations et de matières radioactives. Selon les estimations, toujours très difficiles (voir la fin du texte), Tchernobyl a provoqué la mort de dizaines de milliers de personnes. A Three Mile Island en 1979 aux Etats-Unis et à Fukushima en 2011 au Japon, les deux autres grandes catastrophes nucléaires civiles, il n’y a eu aucun mort résultant directement des accidents sur les réacteurs.
Une nouvelle carapace de béton finie en 2016
A Tchernobyl, contrairement aux centrales occidentales, les réacteurs mi-civils, mi-militaires, n’avaient pas d’enceintes supplémentaires, dites de confinement, pour comme leur nom l’indique contenir, autant que faire se peut, les rayonnements et les matières radioactives en cas d’accident majeur. Le sarcophage est en quelque sorte une enceinte de confinement, construite en deux mois après l’explosion du réacteur, dans des conditions dramatiques qui ont coûté la vie à plusieurs dizaines de personnes baptisées alors «liquidateurs»
Des centaines de milliers d’ouvriers ont été mobilisés par l’Union Soviétique notamment pour isoler le réacteur en construisant le plus vite possible un dôme de béton afin d’arrêter la libération dans l’air de nombreuses substances nocives comme le corium, l’uranium, et le plutonium. Le chantier a exposé beaucoup d’ouvriers à de fortes radiations, provoquant la mort de 31 personnes (sans compter les nombreux cancers développés au fil des années). Pendant trente ans, ce sarcophage de 400.000 mètres cube de béton a rempli à peu près son office.
Mais maintenant le sarcophage se désagrège selon la société ukrainienne qui assure la surveillance du site. Elle indique qu’il est en très mauvais état et qu’il existe de fortes probabilités qu’il s’effondre. Il a plus de trente ans et surtout sa construction a été mal faite compte tenu des circonstances dans lesquelles opéraient des équipes qui risquaient leur vie en permanence. Pour ne pas s’exposer trop longtemps aux radiations, les équipes n’ont ainsi pas scellé complètement les parois du sarcophage. Des ouvertures sont restées notamment dans le toit qui ont permis à l’eau de s’infiltrer et de corroder les fers sur lesquels le béton a été coulé.
Aujourd’hui, ce sarcophage est lui-même protégé par une carapace de béton de 32.000 tonnes. Il a fallu neuf ans pour la construire et elle a été terminée en 2016. Elle fait 110 mètres de haut, 150 mètres de large et 256 mètres de long. Le coût de sa fabrication a été de 1,5 milliard d’euros. Elle est conçue pour protéger l’environnement des radiations pendant un siècle. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faudra pas démanteler l’ancien sarcophage pour qu’il ne s’effondre pas et ne provoque pas alors d’éventuels dégâts.
«Lave radioactive»
Il y a quelques jours, le 29 juillet, les autorités ukrainiennes ont signé un premier contrat avec une entreprise de construction qui interviendra à l’intérieur de la carapace pour commencer à démonter les éléments de l’ancien sarcophage et les décontaminer. Des travaux qui devraient être réalisés en grande partie à l’aide de robots. Ils devront également débarrasser le site de la «lave radioactive» qui s’est formée en 1986 avec le plomb, le sable et le bore déversés sur le réacteur en feu qui ont fondu. Le chantier s’annonce colossal et devrait se prolonger au moins jusqu’en 2065…
Concernant le nombre de morts à la suite de la catastrophe, les estimations varient grandement. Les principales sont les suivantes.
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) écrivait dans un document en date du 5 septembre 2005, «qu’un total allant jusqu’à 4.000 personnes pourrait éventuellement mourir à la suite de l’exposition aux radiations de la centrale nucléaire de Tchernobyl il y a près de 20 ans».
Le Centre international de recherche sur le cancer , qui dépend de l’OMS, a des chiffres plus importants. Il estime qu’il a pu y avoir 9.000 cancers supplémentaires mortels parmi la population de 6,8 millions d’habitants, qui vivaient dans les zones les plus touchées par le nuage radioactif en Biélorussie, en Ukraine et dans la Fédération de Russie, et que dans le reste de l’Europe, il pourrait y avoir jusqu’à 16.000 cancers mortels supplémentaires jusqu’en 2065.
Enfin, The Union of Concerned Scientists (l’Union des scientifiques inquiets) porte le total hors de la zone la plus proche de Tchernobyl à 27.000 décès possibles plutôt que 16.000, estimant que des populations en Afrique, en Asie et en Amérique ont également été affectées. On peut donc dire, sans prendre trop de risques, que les victimes se chiffrent bien en dizaines de milliers.