Réservées longtemps aux laboratoires et aux chercheurs, les technologies permettant de capter le CO2 dans l’atmosphère vont devenir indispensables. A la fois évidemment pour réduire la quantité de ce gaz à effet de serre dans l’atmosphère et aussi et surtout pour produire en masse des carburants synthétiques. La révolution attendue des carburants synthétiques, substituts parfaits aux carburants fossiles, ne peut se faire et n’a de sens que si les carburants en question sont décarbonés. Ils doivent donc être fabriqués avec de l’hydrogène vert, produit par électrolyse de l’eau avec de l’électricité bas carbone, et du carbone qui ne peut provenir que de l’atmosphère pour que l’opération soit neutre. Après combustion des carburants synthétiques, le CO2 retournera dans l’atmosphère mais ne viendra pas s’ajouter aux quantités existantes…
La capture du CO2 reste une technique relativement méconnue. Il ne faut pas confondre deux procédés de nature très différente, à savoir la capture et le stockage lors de process industriels (CCS ou Carbon Capture and Storage) et la capture dite directe dans l’atmosphère (DAC ou Direct Air Capture). Le CCS capte dans les usines (cimenteries, hauts fourneaux, centrales…) le carbone émis par la combustion des énergies fossiles ou par les procédés industriels avant qu’il ne se répande dans l’atmosphère. Le DAC extrait le CO2 déjà présent dans l’air, via de grands ventilateurs et des procédés chimiques. Ce CO2 dans l’atmosphère est par nature très diffus -420 parties par million, environ 0,04%- ce qui rend cette technique à la fois énergivore et coûteuse.
Seulement 18 installations en fonctionnement dans le monde
Le CCS est amené à se développer rapidement car il est considéré par de très nombreuses institutions (AIE, GIEC, World Economic Forum, Académie des sciences américaine, Imperial College de Londres…) et les groupes industriels eux-mêmes comme un des rares moyens permettant aujourd’hui de réduire rapidement et significativement les émissions liées à des activités économiques pour lesquelles il y a peu ou pas de moyens de substitutions techniquement et économiquement viables aux énergies fossiles. L’humanité ne peut pas se passer de ciment (béton) et de fer (acier)… L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que pour que l’objectif de zéro émission nette soit atteint d’ici 2050, le CCS devra capter et stocker 1,3 milliard de tonnes de CO2 par an d’ici à 2030, soit 30 fois plus que l’année dernière…
Le DAC se trouve à un stade bien plus expérimental. Il n’y a que 18 installations qui testent aujourd’hui cette technologie dans le monde et ont extrait l’an dernier 10.000 tonnes de CO2 de l’atmosphère, une quantité symbolique. L’ambition est de passer à 60 millions de tonnes d’ici la fin de la décennie et d’utiliser ce CO2 pour fabriquer des carburants synthétiques pour l’aviation, le transport maritime, les transports routiers lourds et éventuellement l’industrie.
Amérique du nord et Asie en pointe
Deux approches technologiques sont actuellement utilisées pour capturer le CO2 dans l’air. Le DAC dit solide est basé, comme son nom l’indique, sur des adsorbants solides fonctionnant à pression ambiante ou basse (c’est-à-dire sous vide) et à température moyenne (80-120°C). Le DAC dit liquide repose sur une solution aqueuse comme l’hydroxyde de potassium qui libère le CO2 capturé à travers une série d’unités fonctionnant à haute température (entre 300°C et 900°C). Une installation DAC peut être implantée dans n’importe quel endroit disposant de ressources énergétiques à faible teneur en carbone et d’une capacité de stockage du CO2 ou d’une possibilité d’utilisation du même CO2.
L’Amérique du nord et l’Asie sont en pointe. La première usine capable de produire un million de tonnes de CO2 par an doit entrer en service l’an prochain aux Etats-Unis. Les États-Unis et le Canada offrent des crédits d’impôts massifs aux entreprises qui investissent pour développer les technologies de capture de CO2 dans l’atmosphère. Et cela fonctionne. Alphabet, Shopify, Meta, Stripe, Microsoft, H&M… prévoient d’investir au total un milliard de dollars dans cette technologie d’ici 2030. Le mois dernier, la banque JPMorgan a décidé d’apporter 20 millions de dollars de financement sur neuf ans à Climeworks, pionnier du DAC basé en Suisse (voir leur projet dans l’image ci-dessus). La Corée du Sud et la Chine investissent aussi massivement. Une usine pouvant capter 500.000 tonnes de CO2 par an vient d’entrer en service dans la province chinoise de Jiangsu.
Le problème des coûts exorbitants
Mais pour que cette technologie ait réellement de l’avenir, elle doit impérativement réduire ces coûts. Ils sont aujourd’hui rédhibitoires, compris entre 600 et 1.000 dollars par tonne de CO2. Ils devraient être ramenés entre 100 et 300 dollars par tonne dans les prochaines décennies selon le rapport State of Carbon Dioxide Removal publié cette année.
Comme l’écrit l’AIE, « la démonstration à grande échelle de la technologieDAC doit être faite le plus tôt possible afin de réduire les incertitudes concernant son potentiel de déploiement et les coûts futurs, et de s’assurer que ces technologies seront disponibles pour soutenir la transition… À court terme, la démonstration à grande échelle des technologies DAC nécessitera un soutien ciblé des pouvoirs publics, notamment par le biais de subventions, de crédits d’impôt et de marchés publics pour l’élimination du CO2 ».