<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Première mondiale, la Chine va faire fonctionner un réacteur nucléaire au thorium à sels fondus

19 juin 2023

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : Reacteur Thorium Pays-bas
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Première mondiale, la Chine va faire fonctionner un réacteur nucléaire au thorium à sels fondus

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Les autorités chinoises viennent d’autoriser la mise en service d’un prototype de réacteur nucléaire expérimental au thorium à sels fondus. Ce type de réacteur fait partie de la catégorie des réacteurs dits à surgénération qui sont plus sûrs, capables de fabriquer plus de combustibles qu’ils n’en consomment et qui rejettent peu de déchets par rapports aux réacteurs à fission classiques. Ils représentent l’avenir à moyen et long terme de l’énergie nucléaire, au moins pour ce qui est de la fission. La France était en pointe sur une autre technologie permettant la surgénération, les réacteurs à neutrons rapides, avec Phénix et SuperPhénix et le programme de recherche Astrid. Des réacteurs et des programmes qui ont été arrêtés pour des raisons politiciennes respectivement par Lionel Jospin à la fin du siècle dernier et Emmanuel Macron en 2019…

Le réacteur nucléaire au thorium à sels fondus (qui joue le rôle de matériau caloporteur et de barrière de confinement) fait fantasmer les ingénieurs tout comme celui à neutrons rapides. Ces deux technologies différentes de celles utilisées aujourd’hui dans la quasi-totalité des réacteurs existants peuvent permettre une maitrise complète du cycle du combustible grâce notamment à la surgénération. Elle permet à la fois de fabriquer dans le réacteur plus de combustible que celui utilisé et de produire peu de déchets hautement radioactifs. Mais le réacteur au thorium, développé aujourd’hui notamment par la Chine, n’est pas pour autant une solution miracle. Il nécessite pour être développé à une échelle industrielle et non expérimentale encore de nombreuses années de recherches et d’investissements.

De nombreux avantages, mais encore de sérieux obstacles techniques

Le réacteur nucléaire au thorium à sels fondus offre théoriquement le meilleur des mondes. Celui de la puissance et de l’abondance de l’électricité nucléaire sans avoir de dimension militaire, en offrant une plus grande sécurité, sans consommer d’eau pour le refroidir et sans avoir à gérer ensuite de grandes quantités de déchets radioactifs provenant de la fission des atomes d’uranium ou de plutonium. Le thorium est abondant. Et pour être utilisé dans un réacteur, il n’a pas besoin d’un long processus d’enrichissement. Cette technologie a commencé à être étudiée à la fin des années 1940. Elle a été délaissée faute de financements même si plusieurs expérimentations ont été menées dans les années 1960 et 1970 et même au cours des dernières années, aux Etats-Unis, en Russie, en Asie et en Europe. Aux Pays-Bas, un projet d’évaluation a été lancé en 2017 (voir la photographie ci-dessus).

Mais c’est la Chine qui est la plus avancée et démontre ainsi, si besoin en était, son ambition de dominer l’industrie nucléaire civile dans le monde. Les autorités chinoises viennent ainsi d’autoriser la mise en service d’un prototype de réacteur nucléaire expérimental au thorium. La construction du prototype baptisé TMSR-LF1 a été lancée en 2018 dans le désert proche de la ville de Wuwei dans la province du Gansu au nord-ouest du pays. Il s’agira tout simplement du premier réacteur au thorium à fonctionner dans le monde. Un réacteur plus important devrait ensuite être construit au même emplacement qui devrait générer environ 373 MW et être opérationnel en 2030.

Le thorium n’est pas un matériau fissile, mais «fertile»

Un réacteur au thorium peut être facilement installé dans des zones désertiques car il n’a pas besoin de grandes quantités d’eau. Il fonctionne avec un minerai abondant, trois à quatre fois plus abondant que l’uranium et à peu près aussi fréquent que le plomb. Le thorium peut difficilement servir à fabriquer des bombes nucléaires. Dans le réacteur, le combustible est utilisé sous une forme liquide, dissous dans du sel fondu entre 600 et 900°C. Le sel joue à la fois le rôle de caloporteur et de barrière de confinement. Le sel liquide diffuse la chaleur, refroidit le processus de réaction et permet de se passer d’un système de refroidissement avec de l’eau à haute pression. En cas d’accident, si le combustible est exposé à l’air, il se refroidit rapidement et devient solide.

En dépit de ses promesses, le réacteur à sels fondus n’a jamais vu le jour car il se heurtait à la fois aux besoins militaires, qu’il ne permet pas de satisfaire, et à des technologies existantes que ne voulaient pas concurrencer les industriels du secteur. Il existe aussi et surtout de sérieux obstacles techniques à surmonter. Le principal est de parvenir à maintenir la réaction en chaîne. Cela est compliqué parce que le thorium contient beaucoup moins de matériau fissile que l’uranium ou le plutonium. Il y aussi le problème de la corrosion provoquée par les sels fondus qui dégrade rapidement les équipements et les tuyauteries.

Le thorium est un élément naturel légèrement radioactif. Il est «fertile» et pas fissile. Contrairement à l’uranium qui possède deux isotopes, U238 et U235, dont l’un est fissile (U235), le thorium naturel ne possède qu’un seul isotope, le Th232, qui n’est pas fissile. Cela signifie qu’il est impossible de faire fonctionner un réacteur nucléaire (c’est-à-dire d’entretenir une réaction en chaine) avec uniquement du thorium. Il faut nécessairement lui adjoindre un élément fissile: uranium enrichi, plutonium, voire de l’U233, qui est un isotope fissile de l’uranium, issu du thorium lui-même.

La surgénération peut se faire sans Thorium, la France l’a amplement démontré avant de renoncer pour des raisons politiciennes

L’intérêt du thorium réside dans le fait que lorsqu’il absorbe un neutron, il donne naissance à un nouvel isotope de l’uranium, l’U233, relativement stable (sa période radioactive est de 160.000 ans) qui n’existe pas à l’état naturel mais qui est fissile au même titre que l’U235. Il est même plus intéressant que celui-ci car lorsqu’il fissionne il émet en moyenne un peu plus de neutrons que l’U235 : 2,49 contre 2,42 pour U235. La surgénération devient ainsi possible.

Ce phénomène de surgénération n’est pas l’apanage d’un cycle de combustible à base de thorium, loin s’en faut. On sait en effet déjà le créer dans les réacteurs à neutrons rapides qui fonctionnent avec un cycle « classique » à uranium et plutonium. Cela a même été démontré « expérimentalement » dans des réacteurs de grande puissance comme Phénix (250 MW) en France, dans lequel on a recyclé dans le cœur du réacteur du plutonium produit pas ce même réacteur. Autrement dit, même sans le thorium, on peut déjà mettre en œuvre des réacteurs à surgénération qui, une fois développés à grande échelle, garantissent un approvisionnement en matières fissiles pour des milliers d’années.

Le réacteur au thorium offre des avantages certains notamment en termes d’économie d’uranium mais aussi pour ce qui concerne la radiotoxicité potentielle à long terme des déchets radioactifs ultimes. Mais la mise en place d’une filière industrielle et de réacteurs de grande puissance exploitables dans les réseaux électriques prendra des décennies. L’expérience industrielle sur ce cycle reste aujourd’hui limitée et elle est pratiquement inexistante sur l’aval du cycle (retraitement et recyclage). Le déploiement de ce cycle à grande échelle nécessitera encore beaucoup de R&D et de lourds investissements industriels. Mais à une échéance de quelques dizaines d’années, l’apparition de nouvelles contraintes pourrait conduire à un développement de cycles au thorium sur les réacteurs à sels fondus. C’est clairement le pari de la Chine.

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