Dans son dernier rapport sur les investissements énergétiques dans le monde l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que nous sommes arrivés à un tournant majeur. La quantité d’investissements dans le solaire devrait ainsi cette année et pour la première fois être supérieure à celle consacrée à la production de pétrole. Les investissements directs dans l’énergie solaire devraient être en 2023 de plus d’un milliard de dollars par jour soit 382 milliards contre 372 milliards dans le pétrole. Pour l’ensemble des technologies bas carbone comme les renouvelables, les véhicules électriques et le stockage de l’électricité, la somme des investissements devrait atteindre 1.700 milliards de dollars en 2023. L’ensemble des investissements réalisés dans l’énergie devrait représenter, toujours cette année, 2.800 milliards de dollars dont environ 950 milliards de dollars pour les fossiles pétrole, charbon et surtout le gaz.
Investissements dans l’énergie en milliards de dollars. En vert, énergies décarbonatées et en bleu, énergies fossiles. Source: AIE.
L’AIE n’a pas réitéré cette année sa mise en garde de mai 2021 qui avait fait l’effet d’une bombe en demandant aux investisseurs de cesser tout investissement dans le pétrole, le charbon et le gaz si le monde veut atteindre l’objectif de zéro émissions nettes de carbone en 2050. La crise énergétique qui a suivi et l’envolée au début de l’année 2022, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, des prix du gaz et du pétrole a rendu inaudible cette injonction.
Ainsi, le charbon ne connait pas le déclin annoncé depuis plusieurs années par l’Agence internationale, au contraire. L’an dernier, la Chine a mis en service deux nouvelles centrales à charbon par semaine, le développement le plus rapide depuis 2015. Et la Chine n’est pas la seule. Le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Australie ont annoncé la mise en service de nouvelles mines de charbon…
Pour autant, sur la chaîne américaine d’information CNBC, Fatih Birol, le directeur exécutif de l’AIE, a souligné que «l’écart se creuse entre les investissements dans les énergies fossiles et les investissements dans les énergies propres. Les énergies bas carbone se développent rapidement, plus rapidement que beaucoup ne le pensent. Cela apparaît clairement dans les tendances d’investissement, où les technologies propres prennent l’avantage sur les combustibles fossiles. Pour chaque dollar investi dans les fossiles, environ 1,7 dollar est maintenant investi dans les énergies propres.»
Depuis la crise énergétique qui a commencé il y a deux ans, de nombreux gouvernements dans le monde ont accéléré les investissements dans les renouvelables y voyant un moyen à la fois de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’accroître leur sécurité d’approvisionnement énergétique. Mais aussi, plusieurs pays qui produisent de grandes quantités d’énergies fossiles comme l’Arabie Saoudite, les Emirats, le Qatar ou le Koweït investissent fortement dans les renouvelables pour diversifier leurs économies.
Les renouvelables tirent les investissements dans les sources d’énergie décarbonées. Source AIE.
Mais la raison sans doute majeure derrière le développement accéléré des renouvelables tient au fait qu’elles sont devenues aujourd’hui compétitives par rapport aux combustibles fossiles pour la production d’électricité.
Selon l’AIE, et en tenant compte de leur intermittence et de la nécessité donc de disposer sur les réseaux de moyens de production alternatifs et de stockage d’électricité, les renouvelables et notamment le solaire sont aujourd’hui moins coûteux que les fossiles. Le solaire photovoltaïque reviendrait ainsi en moyenne à 60 dollars par MWh et le gaz naturel à 80 dollars par MWh. Un calcul contesté par certains experts parce qu’il n’intègre pas les investissements majeurs dans les réseaux nécessaires pour distribuer des sources de production électrique dispersées et extensives contrairement aux grandes centrales.
En tout cas, la conclusion d’Energy Intelligence est identique à celle de l’AIE. Energy Intelligence a publié il y a quelques jours une analyse actualisée du coût de production de l’électricité dans cinq régions du monde (les États-Unis, l’Europe occidentale, le Japon, le Moyen-Orient et les pays en développement d’Asie). Elle est sans appel en faveur des renouvelables. Energy Intelligence a développé son propre modèle de LCOE (coût énergétique nivelé) considéré comme l’un des plus pertinents.
L’étude montre que les renouvelables ont dépassé le gaz en termes de coûts de production, les plus bas étant selon les situations locales entre le solaire photovoltaïque et l’éolien terrestre. Cette tendance se vérifie même au Japon, où la rareté des terrains disponibles et leur prix est un sérieux handicap pour les énergies renouvelables à forte intensité foncière, où l’éolien terrestre l’emporte sur le charbon et où le photovoltaïque supplante le gaz.
«Les coûts de production de l’éolien et du photovoltaïque restent inférieurs à ceux des combustibles fossiles… et malgré les problèmes de chaîne d’approvisionnement qui affectent également les deux secteurs, les technologies renouvelables restent les moins chères», écrit Energy Intelligence.
Le gaz naturel pourrait toutefois inverser cette tendance étant donné que son prix a baissé de façon spectaculaire au cours des deux derniers mois. Après avoir atteint des sommets historiques après l’invasion de l’Ukraine en dépassant les 340 euros le MWh en août 2022 sur le marché européen, les cours du gaz ont baissé de plus de 90% du fait à la fois d’une faiblesse de la demande industrielle et des particuliers et de stocks restés importants. Ils sont tombés à moins de 25 euros le MWh et pourraient selon certains analystes descendre encore plus bas. En revanche, les prix du pétrole et du charbon restent eux toujours supérieurs à leur moyenne des cinq dernières années.
«En tout cas, l’AIE a montré que le solaire est devenu une véritable superpuissance énergétique. Il apparaît comme l’outil le plus important dont nous disposons pour décarboniser rapidement l’ensemble de l’économie», s’est félicité dans un communiqué le groupe de réflexion sur l’énergie Ember. «L’ironie est que certains des endroits les plus ensoleillés du monde ont les niveaux d’investissement solaire les plus bas.»
C’est un autre enseignement de l’étude de l’Agence internationale de l’énergie. Car environ 90% des investissements réalisés dans les énergies bas carbone proviennent des économies développées et de la Chine. Cela révèle un peu plus la fracture mondiale entre les pays riches et les pays pauvres en matière énergétique.